n travers, un cheval sur
lequel il se mit a genoux. Il implorait le secours de ceux qui ne
l'ecoutaient pas. Mais des sapeurs du genie et des pontonniers qui
avaient fait les ponts, lui jeterent une corde qu'il eut assez
d'adresse pour saisir et de force pour tenir, et se l'attacha autour
du corps. Ensuite, de chevalet en chevalet, sur les cadavres qui
etaient dans l'eau et sur les glacons, les pontonniers le retirerent a
l'autre bord. Mais je ne le revis plus; j'ai su, le lendemain, qu'il
avait retrouve son frere a une demi-lieue de la, mais expirant, et que
lui-meme etait dans un etat desespere. Ainsi perirent ces deux bons
freres et un troisieme qui etait dans le 2e lanciers. A mon retour a
Paris, j'ai revu leur famille qui est venue me demander des nouvelles
de ses enfants. Je n'ai pu que lui laisser une lueur d'esperance, en
lui disant qu'ils etaient prisonniers, mais j'etais certain qu'ils
n'existaient plus.
Pendant ce desastre, des grenadiers de la Garde parcouraient les
bivacs. Ils etaient accompagnes d'un officier; ils demandaient du bois
sec pour chauffer l'Empereur. Chacun s'empressait de donner ce qu'il
avait de meilleur; meme des hommes mourants levaient encore la tete
pour dire: "Prenez pour l'Empereur!"
Il pouvait etre dix heures; le second pont, designe pour la cavalerie
et l'artillerie, venait de s'abimer sous le poids de l'artillerie, au
moment ou il y avait beaucoup d'hommes dessus, dont une grande partie
perit. Alors le desordre redoubla car, tous se jetant sur le premier
pont, il n'y avait plus possibilite de se frayer un passage. Hommes,
chevaux, voitures, cantiniers avec leurs femmes et leurs enfants, tout
etait confondu et ecrase, et, malgre les cris du marechal Lefebvre
place a l'entree du pont pour maintenir l'ordre autant que possible,
il lui fut impossible de rester. Il fut emporte par le torrent et
oblige, avec tous ceux qui l'accompagnaient, pour eviter d'etre ecrase
ou etouffe, de traverser le pont.
J'avais deja reuni cinq hommes du regiment, dont trois avaient perdu
leurs armes dans la bagarre. Je leur avais fait faire du feu. J'avais
toujours les yeux fixes sur le pont; j'en vis sortir un homme
enveloppe d'un manteau blanc: pousse par ceux qui le suivaient, il
alla tomber sur un cheval abattu, sur la gauche du pont. Il se releva
avec beaucoup de peine, fit encore quelques pas, tomba de nouveau, se
releva de meme, pour venir ensuite retomber pres de notre feu. Il
resta un instant d
|