la, ils vinrent aupres de moi me
faire des questions auxquelles je n'avais pas la force de repondre,
tant j'etais emu en me retrouvant au milieu d'eux, comme si j'eusse
ete dans ma famille. Ils me disaient qu'ils ne concevaient pas comment
j'avais ete separe d'eux, et que cela ne serait pas arrive, s'ils se
fussent apercus que j'etais malade a ne pouvoir suivre. En jetant un
coup d'oeil sur la compagnie, je vis qu'elle etait encore beaucoup
diminuee. Le capitaine manquait; tous les doigts de pieds lui etaient
tombes. Pour le moment, l'on ne savait pas ou il etait, quoique
marchant avec un mauvais cheval qu'on lui avait procure.
[Note 49: Ils marchaient tous la tete baissee, les yeux fixes vers
la terre, n'y voyaient presque plus, tant la gelee et la fumee du
bivac leur avaient abime la vue. (_Note de l'auteur_.)]
Deux de mes amis[50], voyant que je marchais avec peine, me prirent
sous les bras.
[Note 50: C'etait avec Grangier et Leboude que nous marchions de
la sorte. (_Note de l'auteur_.)]
Nous rejoignimes les fusiliers-chasseurs. Je ne me rappelle pas, a
aucune epoque de ma vie, avoir jamais eu autant envie de dormir, et
cependant il fallait suivre. Mes amis me prirent encore sous les bras
en me recommandant de dormir, chose que nous fumes obliges de faire
chacun notre tour, car le sommeil s'empara aussi d'eux. Il nous est
arrive plusieurs fois de nous trouver arretes et endormis tous les
trois. Heureusement que le froid, ce jour-la, avait beaucoup diminue,
car le sommeil nous aurait infailliblement conduits a la mort.
Nous arrivames, au milieu de la nuit, dans les environs de Borisow.
L'Empereur se logea dans un chateau situe a droite de la route, et
toute la Garde bivaqua autour. Le general Roguet, qui nous commandait,
s'empara de la serre du chateau pour y passer la nuit. Mes amis et moi
nous nous etablimes derriere. Pendant la nuit, le froid augmenta
considerablement. Le lendemain 26, dans la journee, nous allames
prendre position sur les bords de la Berezina. L'Empereur etait,
depuis le matin, a Studianka, petit village situe sur une hauteur et
en face.
En arrivant, nous vimes les braves pontonniers travaillant a la
construction des ponts, pour notre passage. Ils avaient passe toute la
nuit, travaillant dans l'eau jusqu'aux epaules, au milieu des glacons,
et encourages par leur general[51]. Ils sacrifiaient leur vie pour
sauver l'armee. Un de mes amis m'a assure avoir vu l'Empereur leur
presentant d
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