trouees, enveloppes
dans des morceaux de drap, des peaux de mouton, enfin tout ce que l'on
pouvait se procurer pour se preserver du froid. Ils marchaient sans se
plaindre, s'appretant encore, comme ils le pouvaient, pour la lutte,
si l'ennemi s'opposait a notre passage. L'Empereur, au milieu de nous,
nous inspirait de la confiance et trouva encore des ressources pour
nous tirer de ce mauvais pas. C'etait toujours le grand genie et, tout
malheureux que l'on etait, partout, avec lui, on etait sur de vaincre.
Cette masse d'hommes laissait, en marchant, toujours apres elle, des
morts et des mourants. Il me fallut attendre plus d'une heure, avant
que cette colonne fut passee. Apres, il y eut encore une longue
trainee des plus miserables qui suivaient machinalement a de grands
intervalles. Ceux la etaient arrives au dernier degre de la misere et
ne devaient pas meme passer la Berezina dont nous etions si pres.
J'apercus, un instant apres, le reste de la Jeune Garde, tirailleurs,
flanqueurs et quelques voltigeurs qui avaient echappe a Krasnoe,
lorsque le regiment, commande par le colonel Luron, fut, devant nous,
ecrase par la mitraille et sabre par les cuirassiers russes. Ces
regiments, confondus, marchaient toujours en ordre. Derriere eux
suivaient l'artillerie et quelques fourgons. Le reste du grand parc,
commande par le general Negre, etait deja en avant. Un instant apres
parut la droite des fusiliers-chasseurs, avec lesquels notre regiment
formait une brigade. Le nombre en etait encore beaucoup diminue. Notre
regiment etait encore separe par de l'artillerie que les chevaux ne
savaient plus trainer. Un instant apres, j'apercus la droite marchant
sur deux rangs, a droite et a gauche de la route, afin de rejoindre la
gauche des fusiliers-chasseurs. L'adjudant-major Roustan, le premier
qui m'apercut, me dit: "Eh bien! pauvre Bourgogne, c'est donc vous!
L'on vous croit mort en arriere, et vous voila vivant en avant!
Allons, tant mieux! N'avez-vous pas rencontre, en arriere, des hommes
du regiment?" Je lui repondis que, depuis trois jours, je voyageais
dans les bois avec un second, pour eviter d'etre pris par les Russes.
M. Serraris dit au colonel qu'il savait que, depuis le 22, j'etais
reste en arriere, etant malade, et que s'il etait surpris d'une chose,
c'etait de me revoir. Enfin arriva la compagnie, et j'avais repris mon
rang a la droite, que mes amis ne m'avaient pas encore apercu[49].
Aussitot qu'ils surent que j'etais
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