e, et si, demain, je ne suis pas au regiment, c'est
fini!--Soyez tranquille, nous y serons aujourd'hui, j'espere, ou
demain matin au plus tard. Comment, mon vieux, voila que vous vous
affectez comme une femme!--C'est vrai, me repondit-il, je ne sais pas
comment cela est venu. Je dormais ou je revais, mais cela va mieux.--A
la bonne heure, mon vieux! Ce n'est rien. La meme chose m'est arrivee
plusieurs fois, et le soir meme que je vous ai rencontre. Mais j'ai le
coeur plein d'esperance depuis que je suis avec vous!"
Tout en causant, je voyais mon guide qui s'arretait souvent comme pour
ecouter.
Tout a coup, je vois Picart se jeter de tout son long dans la neige,
et nous commander d'une voix brusque: "Silence!" "Pour le coup, dis-je
en moi-meme, c'est fini! Mon vieux camarade est fou! Que vais-je
devenir?" Je le regardais, saisi d'etonnement; il se leve et se met a
crier, mais d'une voix moins forte que la premiere fois: "Vive
l'Empereur! Le canon! Ecoutez! Nous sommes sauves!--Comment? lui
dis-je.--Oui, continua-t-il, ecoutez!" Effectivement, le bruit du
canon se faisait entendre: "Ah! je respire, dit-il, l'Empereur n'est
pas prisonnier, comme le coquin d'emigre le disait hier. N'est-il pas
vrai, mon pays? Cela m'avait tellement brouille la cervelle, que j'en
serais mort de rage et de chagrin. Mais, a present, marchons dans
cette direction: c'est un guide certain." L'enfant d'Israel nous
assurait que c'etait dans la direction de la Berezina que l'on
entendait le canon. Enfin mon vieux compagnon etait tellement content
qu'il se mit a chanter:
Air du _Cure de Pomponne_.
Les Autrichiens disaient tout bas:
Les Francais vont vite en besogne,
Prenons, tandis qu'ils n'y sont pas,
L'Alsace et la Bourgogne.
Ah! tu t'en souviendras, la-ri-ra,
Du depart de Boulogne (_bis_).[46]
[Note 46: Cette chanson avait ete faite en partant du camp de
Boulogne en 1805, pour aller en Autriche, pour la bataille
d'Austerlitz. (_Note de l'auteur_.)]
Une demi-heure apres, notre marche devint tellement embarrassante,
qu'il etait impossible de voyager plus longtemps. Notre guide croyait
s'etre trompe. C'est pourquoi, rencontrant un espace assez eleve pour
y marcher plus a l'aise, nous n'hesitames pas un instant a nous y
jeter, esperant y rencontrer un chemin ou nous puissions marcher avec
plus de facilite. Nous entendions toujours le bruit du canon, mais
plus distinctement, depuis que nous avions pris cette nouvelle
di
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