aient appartenu et qui les avaient tant de fois conduits a la
victoire. C'etaient les debris de plus de soixante mille hommes.
Venait ensuite la Garde imperiale a pied, marchant toujours en ordre.
Les premiers etaient les chasseurs a pied. Mon pauvre Picart, qui
n'avait pas vu l'armee depuis un mois, regardait tout cela sans rien
dire, mais ses mouvements convulsifs ne faisaient que trop voir ce
qu'il eprouvait. Plusieurs fois, il frappa la crosse de son fusil
contre la terre, et de son poing sa poitrine et son front. Je voyais
de grosses larmes couler sur ses joues et retomber sur ses moustaches
ou pendaient des glacons. Alors, se retournant de mon cote: "En
verite, mon pays, je ne sais pas si je dors ou si je veille. Je pleure
d'avoir vu notre Empereur marcher a pied, un baton a la main, lui si
grand, lui qui nous fait si fiers!" En disant ces paroles, Picart
releva la tete et frappa sur son fusil. Il semblait vouloir, par ce
mouvement, donner plus d'expression a ses paroles.
Il continua: "Avez-vous remarque comme il nous a regardes?"
Effectivement, en passant, l'Empereur avait tourne la tete de notre
cote. Il nous avait regardes comme il regardait toujours les soldats
de sa Garde, lorsqu'il les rencontrait marchant isolement, et surtout
dans ce moment de malheur, ou il semblait, par son regard, vous
inspirer de la confiance et du courage. Picart pretendait que
l'Empereur l'avait reconnu, chose bien possible.
Mon vieux camarade, dans la crainte de paraitre ridicule, avait ote
son manteau blanc qu'il tenait sous son bras gauche. Il avait aussi,
quoique souffrant de la tete, remis son bonnet a poil, ne voulant pas
paraitre avec celui en peau de mouton que le Polonais lui avait
donne. Le pauvre Picart oubliait sa triste position pour ne plus
penser qu'a celle de l'Empereur et de ses camarades qu'il lui tardait
de voir.
Enfin parurent les vieux grenadiers. C'etait le premier regiment.
Picart etait du second. Nous ne tardames pas a le voir, car la colonne
du premier n'etait pas longue. Suivant moi, il en manquait au moins la
moitie. Lorsqu'il fut devant le bataillon dont il faisait partie, il
avanca pour joindre sa compagnie.
Aussitot l'on entendit: "Tiens, l'on dirait Picart!--Oui, repond
Picart, c'est moi, mes amis, me voila et je ne vous quitte plus qu'a
la mort!" Aussitot la compagnie s'empara de lui (pour le cheval, bien
entendu). Je l'accompagnai encore quelque temps pour avoir un morceau
de l'animal, si on
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