mauvais genievre. Je lui en presentai un qu'il refusa,
et cela pour ne pas boire dans le meme vase que nous. Mais il nous
avanca le creux de sa main, et nous lui en versames, qu'il avala.
Il nous dit alors que, pour arriver a une autre cabane, il fallait
encore une bonne heure de marche. Aussi, dans la crainte que la nuit
ne vienne nous surprendre, nous resolumes de nous remettre en route.
C'est ce que nous fimes avec une peine incroyable, tant le chemin
etait devenu etroit, ou plutot l'on aurait dit qu'il n'y en avait
plus. Cependant Samuel, notre guide, qui avait vraiment du courage,
nous rassura en nous disant que, bientot, nous le retrouverions plus
large.
Pour comble de malheur, la neige recommenca a tomber avec tant de
force, que nous ne sumes plus ou nous diriger. Cet etat de choses dura
jusqu'au moment ou notre guide se mit a pleurer, en nous disant qu'il
ne savait plus ou nous etions.
Nous voulumes retourner sur nos pas, mais ce fut bien pis, a cause de
la neige qui nous tombait en pleine figure; nous n'eumes rien de mieux
a faire que de nous mettre contre un massif de gros sapins, en
attendant qu'il plut a Dieu de faire cesser le mauvais temps. Cela
dura encore plus d'une demi-heure. Nous commencions a etre transis de
froid. Picart jurait par moments; quelquefois il fredonnait:
Ah! tu t'en souviendras, la-ri-ra,
Du depart de Boulogne!
Le juif ne faisait que repeter: "Mon Dieu! mon Dieu!" Tant qu'a moi,
je ne disais rien, mais je faisais des reflexions bien sinistres. Sans
ma peau d'ours et le bonnet du rabbin que je portais sous mon schako,
je pense que j'aurais succombe de froid.
Lorsque le temps fut devenu meilleur, nous cherchames a nous orienter
de nouveau, mais a la tempete avait succede un grand calme, de maniere
a ne plus savoir distinguer le nord avec le midi. Nous etions tout a
fait desorientes. Nous marchions toujours au hasard, et je
m'apercevais que nous tournions toujours sur nous-memes, revenant
continuellement a la meme place.
Picart continuait a jurer, mais c'etait contre le juif.
Cependant, apres avoir marche encore quelque temps, nous nous
trouvames dans un espace d'environ quatre cents metres de
circonference, qui nous donna l'espoir de trouver un chemin. Mais,
apres en avoir fait plusieurs fois le tour, nous ne decouvrimes rien.
Nous nous regardions, car chacun de nous attendait un avis de son
camarade. Tout a coup, je vis mon vieux grognard poser son fusil
contre un
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