ettes que nous lui donnions de suite,
et un billet de banque de cent roubles, le tout d'une valeur de cinq
cents francs. Mais je mettais pour condition que les epaulettes
resteraient entre les mains de notre hote, qui les lui remettrait a
son retour; que, pour le billet de banque, je le lui donnerais a notre
destination, c'est-a-dire au premier poste de l'armee francaise; que,
sur la presentation d'un foulard que je montrai aux personnes
presentes, on lui remettrait les epaulettes, mais que lui, Samuel,
remettrait aux personnes de la maison vingt-cinq roubles; que le
foulard serait pour la plus jeune fille, celle qui m'avait lave les
pieds. L'enfant d'Israel accepta, non sans faire quelques observations
sur les dangers qu'il y avait a courir, en ne passant pas par la
grand'route. Notre hote nous temoigna combien il regrettait de ne pas
avoir dix ans de moins, afin de nous conduire, et pour rien, en nous
defendant contre les Russes, s'il s'en presentait. En nous disant
cela, il nous montrait sa vieille hallebarde attachee le long d'une
piece de bois. Mais il donna tant d'instructions au juif sur la route,
qu'il consentit a nous conduire, apres avoir toutefois bien regarde et
verifie si tout ce que nous lui donnions etait de bon aloi.
Il etait neuf heures du matin lorsque nous nous mimes en route.
C'etait le 24 novembre. Toute la famille polonaise resta longtemps sur
le point le plus eleve, nous suivant des yeux et nous faisant des
signes d'adieu avec leurs mains.
Notre guide marchait devant, tenant notre cheval par la bride. Picart
parlait seul, s'arretant quelquefois, faisant le maniement d'armes.
Tout a coup, je ne l'entends plus marcher. Je me retourne, je le vois
immobile et au port d'armes, marchant au pas ordinaire, comme a la
parade. Ensuite il se met a crier d'une voix de tonnerre: "Vive
l'Empereur!" Aussitot je m'approche de lui, je le prends vivement par
le bras, en lui disant: "Eh bien, Picart, qu'avez-vous donc?" Je
craignais qu'il ne fut devenu fou: "Quoi? me repondit-il comme un
homme qui se reveille, ne passons-nous pas la revue de l'Empereur?" Je
fus saisi en l'entendant parler de la sorte. Je lui repondis que ce
n'etait pas aujourd'hui, mais demain, et, le prenant par le bras, je
lui fis allonger le pas, afin de rattraper le juif. Je vis de grosses
larmes couler le long de ses joues: "Eh quoi! lui dis-je, un vieux
soldat qui pleure!--Laissez-moi pleurer, me dit-il, cela me fait du
bien! Je suis trist
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