grand
mal de tete, par suite, probablement, de ses reves, car il me dit
qu'il n'avait fait que rever Paris et Courbevoie, et, sans se rappeler
qu'il m'en avait deja conte une partie, il me dit que, dans son reve,
il avait danser a la barriere du Roule[45] ou, me dit-il, il avait bu
avec des grenadiers qui avaient ete tues a la bataille d'Eylau.
[Note 45: Rendez-vous des maitresses des vieux grenadiers de la
Garde. On y dansait. (_Note de l'auteur_.)]
Comme nous allions manger, le juif nous presenta une bouteille de
genievre que Picart s'empressa de prendre. Alors il lui demanda qui il
etait et d'ou il venait; il lui parlait en allemand. Ensuite il gouta
ce que contenait la bouteille, et, pour remercier, finit par lui dire
que cela ne valait pas le diable. Effectivement c'etait du mauvais
genievre de pommes de terre.
L'idee me vint que le juif pourrait nous etre tres utile en le prenant
pour guide; nous avions de quoi tenter sa cupidite. De suite, je fis
part a Picart de mon idee, qu'il approuva, et, comme il se disposait a
en faire la proposition, notre cheval, qui etait couche, se releva
tout effraye, en cherchant a rompre le lien auquel il etait attache;
le chien se mit a beugler (_sic_). Au meme instant, nous entendimes
plusieurs loups qui vinrent hurler autour de la baraque et meme contre
la porte. C'etait a notre cheval qu'ils en voulaient. Picart prit son
fusil pour leur faire la chasse, mais notre hote lui fit comprendre
qu'il ne serait pas prudent, a cause des Russes. Alors il se contenta
de prendre son sabre d'une main et un morceau de bois de sapin tout en
feu de l'autre, se fit ouvrir la porte et se mit a courir sur les
loups qu'il mit en fuite. Un instant apres, il rentra en me disant
que cette sortie lui avait fait du bien; que son mal de tete etait
presque passe. Ils revinrent encore a la charge, mais nous ne
bougeames plus.
Le juif, comme je m'y attendais, nous demanda si nous n'avions rien a
vendre ou a changer. Je dis a Picart qu'il etait temps de lui faire
des propositions pour qu'il puisse nous conduire jusqu'a Borisow ou
jusqu'au premier poste francais. Je lui demandai combien il y avait de
l'endroit ou nous etions a la Berezina. Il nous repondit que, par la
grand'route, il y avait bien neuf lieues; nous lui fimes comprendre
que nous voulions, si cela etait possible, y arriver par d'autres
chemins. Je lui proposai de nous y conduire, moyennant un arrangement:
d'abord les trois paires d'epaul
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