que nous leur avions donne, ne pouvant croire que c'etait pour
elles. Mais la chose qui leur fit le plus de plaisir fut les boutons
dores que nous leur donnames, ainsi qu'une bague en or que je pris
plaisir a leur mettre aux doigts. Celle qui m'avait lave les pieds ne
fut pas sans remarquer que je lui donnais la plus belle. Il est
probable que les Cosaques coupaient les doigts aux hommes morts, pour
les prendre.
Nous fimes present au vieillard d'une grosse montre anglaise et de
deux rasoirs, ainsi que de toute la monnaie russe, d'une valeur de
plus de trente francs, dont une partie se trouvait aussi dans le
portemanteau. Nous remarquames qu'il avait toujours les yeux fixes sur
une grand'croix de commandeur, a cause du portrait de l'Empereur. Nous
la lui donnames. Sa satisfaction serait difficile a depeindre. Il la
porta plusieurs fois a sa bouche et sur son coeur. Il finit par se
l'attacher au cou avec un cordon en cuir, en nous faisant comprendre
qu'il ne la quitterait qu'a la mort.
Nous demandames du pain. L'on nous en apporta un qu'ils n'avaient pas,
disaient-ils, ose nous presenter, tant il etait mauvais.
Effectivement, nous ne pumes en manger. Ce pain etait fait d'une pate
noire, rempli de grains d'orge, de seigle et de morceaux de paille
hachee a vous arracher le gosier. Il nous fit comprendre que ce pain
provenait des Russes; qu'a trois lieues de la les Francais les avaient
battus, le matin, et leur avaient pris un grand convoi[42]; que les
juifs qui leur avaient annonce cette nouvelle et qui se sauvaient des
villages situes sur la route de Minsk, leur avaient vendu ce pain, qui
n'etait pas mangeable. Enfin, quoique, depuis plus d'un mois, je n'en
avais pas mange, il me fut impossible de mordre dedans, tant il etait
dur. D'ailleurs j'avais, depuis longtemps, les levres crevassees et
qui saignaient a chaque instant.
[Note 42: Le combat qui avait eu lieu avec les Russes et dont le
Polonais voulait nous parler etait une rencontre que le corps d'armee
du marechal Oudinot, qui n'etait pas venu jusqu'a Moscou, car il avait
toujours reste en Lithuanie, venait d'avoir avec les Russes qui
venaient a notre rencontre, pour nous couper la retraite. Le marechal
les avait battus, mais, en se retirant, ils couperent le pont de la
Berezina. (_Note de l'auteur._)]
Lorsqu'ils virent que nous ne pouvions pas en manger, ils nous
apporterent un morceau de mouton, quelques pommes de terre, des
oignons et des concombres marine
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