dre derriere moi. Je me retourne; jugez de ma
frayeur: c'est le caisson qui s'ouvre comme un tombeau, et je vois se
lever, du fond, un corps d'une grandeur extraordinaire, blanc comme
neige, depuis les pieds jusqu'a la tete, ressemblant au fantome du
Commandeur dans le _Festin de Pierre_, tenant le dessus du caisson
d'une main et un sabre nu de l'autre. A l'apparition d'un pareil
individu, je fais quelques pas en arriere et je tire mon sabre. Je le
regarde sans rien dire, en attendant qu'il parle le premier; mais je
vois que mon fantome est embarrasse, en cherchant a se defaire d'un
grand collet rabattu par-dessus sa tete. Ce collet tenait a un manteau
blanc qui l'empechait de distinguer ce qui l'environnait, et, comme il
faisait cette manoeuvre de la main dont il tenait son sabre, il ne
pouvait parvenir a se debarrasser la tete sans s'exposer a faire
retomber sur lui le dessus du caisson qu'il tenait de la main gauche.
Enfin, rompant le silence je lui demandai d'une voix mal assuree:
"Etes-vous Francais?
--Eh, oui, certainement, je suis Francais, la belle sacree demande!
Vous etes la, me dit-il, comme une chandelle benite! Vous me voyez
embarrasse et vous ne m'aidez pas a sortir de mon cercueil! Je vois,
mon camarade, que vous avez eu peur!
--Oui, c'est vrai, mais parce que vous auriez pu etre un vivant
semblable a celui qui se trouve dans ce moment couche pres du feu!"
Pendant ce colloque, je l'avais aide a sortir. A peine fut-il a terre,
qu'il se debarrassa de son grand manteau. Jugez de ma surprise et de
ma joie en reconnaissant, dans ce fantome, un des plus vieux grognards
des grenadiers de la Vieille Garde, un de mes anciens camarades qui se
nommait Picart, Picart de nom et Picard de nation, que je n'avais pas
vu depuis notre derniere revue de l'Empereur au Kremlin, mon vieux
camarade avec qui j'avais fait mes premieres armes, car, en entrant
aux Velites, j'etais de la compagnie dont il faisait partie et de la
meme escouade. J'avais ete, avec lui, aux batailles d'Iena, de
Pultusk, d'Eylau, d'Eilsberg et Friedland. Je le quittai ensuite apres
la paix de Tilsitt, pour le retrouver plus tard, en 1808, sur les
frontieres d'Espagne, au camp de Mora, ou il fut, pendant cinq mois,
sous mes ordres, car j'etais caporal, et le hasard l'avait fait tomber
dans mon escouade[34], et, depuis, nous avions fait les autres
campagnes ensemble, quoique n'etant plus du meme regiment.
[Note 34: Au camp de Mora, ou nous etio
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