nous y obligeaient.
En attendant, Picart me demanda si notre bouteille n'etait pas perdue
ou cassee. Fort heureusement, il n'en etait rien: "Alors, dit-il,
chacun un petit verre!" Pendant que je debouchais la bouteille, il
s'occupait a verifier les amorces de nos fusils, a faire tomber la
neige autour des batteries. Nous bumes chacun un petit verre; nous en
avions besoin.
Apres une attente de cinq a six minutes, nous voyons paraitre la tete
de la troupe, precedee de dix a douze Tartares et Kalmoucks armes, les
uns de lances, les autres d'arcs et de fleches, et, a droite et a
gauche de la route, des paysans armes de toute espece d'armes: au
milieu, plus de deux cents prisonniers de notre armee, malheureux et
se trainant avec peine. Beaucoup etaient blesses: nous en vimes avec
un bras en echarpe, d'autres avec les pieds geles, appuyes sur des
gros batons. Plusieurs venaient de tomber et, malgre les coups que les
paysans etaient obliges de leur donner et les coups de lances qu'ils
recevaient des Tartares, ils ne bougeaient pas. Je laisse a penser
dans quelle douleur nous devions nous trouver, en voyant nos freres
d'armes aussi malheureux! Picart ne disait rien, mais a ses
mouvements, on aurait pense qu'il allait sortir du bois pour renverser
ceux qui les escortaient. Dans ce moment, arriva au galop un officier
qui fit faire halte; ensuite, s'adressant aux prisonniers, il leur dit
en bon francais: "Pourquoi ne marchez-vous pas plus vite?--Nous ne
pouvons pas, dit un soldat etendu sur la neige, et tant qu'a moi,
j'aime autant mourir ici que plus loin!"
L'officier repondit qu'il fallait prendre patience, que les voitures
allaient arriver et que, s'il y avait place pour y mettre les plus
malades, on les placerait dessus: "Ce soir, dit-il, vous serez mieux
que si vous etiez avec Napoleon, car a present, il est prisonnier avec
toute sa Garde et le reste de son armee, les ponts de la Berezina
etant coupes.--Napoleon prisonnier avec toute sa Garde! repond un
vieux soldat. Que Dieu vous le pardonne! L'on voit bien, monsieur que
vous ne connaissez ni l'un ni l'autre. Ils ne se rendront que morts;
ils en ont fait le serment, ainsi ils ne sont pas prisonniers!--Allons,
dit l'officier, voila les voitures!" Aussitot nous apercumes
deux fourgons de chez nous et une forge chargee de blesses
et de malades. On jeta a terre cinq hommes que les paysans
s'empresserent de depouiller et mettre nus; on les remplaca par cinq
autres, dont troi
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