te
se fussent echappes de ses levres. Picart voulut le relever; ce
n'etait plus qu'un cadavre. Cette scene s'etait passee en moins de dix
minutes.
Tout ce que venait de voir et d'entendre mon vieux camarade avait un
peu d'influence sur son moral. Il prit son fusil et, sans me dire de
le suivre, se dirigea sur la route, comme si rien ne devait plus
l'inquieter. Je m'empressai de le suivre avec le cheval que je
conduisais par la bride, et, l'ayant rejoint, je lui dis de monter
dessus. C'est ce qu'il fit sans me parler, j'en fis autant, et nous
nous remimes en marche, esperant sortir de la foret avant la nuit.
Apres avoir trotte pres d'une heure, sans rencontrer autre chose que
quelques cadavres, comme sur toute la route, nous arrivames dans un
endroit que nous primes pour la fin de la foret; mais ce n'etait qu'un
grand vide d'un quart de lieue, qui s'etendait en demi-cercle. Au
milieu se trouvait une habitation assez grande et, autour, quelques
petites masures; c'etait une station ou lieu de poste. Mais, par
malheur, nous apercevons des chevaux attaches aux arbres. Des
cavaliers sortent de l'habitation et se forment en ordre sur le
chemin; ensuite ils se mettent en marche. Ils etaient huit, couverts
de manteaux blancs, la tete coiffee d'un casque tres haut et garni
d'une criniere; ils ressemblaient aux cuirassiers contre lesquels nous
nous etions battus a Krasnoe, dans la nuit du 15 au 16 novembre. Ils
se dirigerent, heureusement pour nous, du cote oppose a celui que nous
voulions prendre. Nous supposions, avec raison, que c'etait un poste
qui venait d'etre releve par un autre.
Lorsque nous entrames dans la foret, il nous fut impossible d'y faire
vingt pas. Il semblait qu'aucune creature humaine n'y avait jamais mis
les pieds, tant les arbres etaient serres les uns contre les autres,
et tant il y avait de broussailles et d'arbres tombes de vieillesse et
caches sous la neige; nous fumes forces d'en sortir et de la suivre en
dehors, au risque d'etre vus. Notre pauvre cheval s'enfoncait, a
chaque instant, dans la neige jusqu'au ventre. Mais comme il n'en
etait pas a son coup d'essai, quoique ayant deux cavaliers sur le dos,
il s'en tirait assez bien.
Il etait presque nuit et nous n'avions pas encore fait la moitie de la
route. Nous primes, sur notre droite, un chemin qui entrait dans la
foret, afin de nous y reposer un instant. Etant descendus de cheval,
la premiere chose que nous fimes fut de boire la goutte. C'eta
|