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abreuver leurs chevaux, car on les voyait frapper avec le bois de
leurs lances pour casser la glace nouvellement formee.
Nous decidames de lever le camp et de plier bagage le plus promptement
possible et tacher ensuite, par des manoeuvres pour ne pas etre vus,
de rejoindre la route et l'armee, si nous pouvions.
Il pouvait etre onze heures; ainsi, jusqu'a quatre, ou la nuit
commencait a venir, s'il ne nous arrivait pas d'accident, nous
pouvions faire encore du chemin. Je ne pensais pas que l'armee fut
bien loin, puisque les Russes nous attendaient au passage de la
Berezina, ou tous ses debris etaient forces de se reunir.
Nous nous depechames. Picart mit dans son sac force provisions de
viande. De mon cote, je fis comme je pus, en remplissant ma
carnassiere de toile. Picart voulut rejoindre la route par le chemin
ou nous etions venus, en suivant toutefois la lisiere de la foret,
car, disait-il, si nous sommes surpris par les Russes, nous avons
toujours, pour nous garantir, les deux cotes de la foret, et, dans le
cas ou nous ne rencontrerions rien, nous avons un chemin qui nous
empechera de nous perdre.
Nous voila en route, lui, le sac sur le dos, avec plus de quinze
livres de viande fraiche dans l'etui de son bonnet a poil; moi portant
la marmite renfermant la viande cuite. Il me dit, en marchant, qu'il
avait toujours eu pour habitude, lorsqu'il y avait plusieurs choses a
porter dans l'escouade, de se charger de preference des vivres, quelle
que fut la quantite, parce que, en se chargeant des vivres, au bout de
quelques jours, on finit par etre le moins charge; et, a l'appui de ce
qu'il me disait, il allait me citer Esope, lorsque plusieurs coups de
fusil se firent entendre, paraissant venir de l'autre cote du lac: "En
arriere! Dans le bois!" me dit Picart. Le bruit ayant cesse, voyant
que personne ne nous observait, nous nous remimes a marcher.
L'ouragan, qui avait cesse le matin, pendant que nous etions a nous
reposer, menacait de recommencer avec plus de force. Des nuages comme
ceux que nous avions vus le matin couvraient cette immense foret et la
rendaient encore plus sombre, de maniere que nous n'osions risquer de
nous y engager pour nous mettre a l'abri.
Comme nous etions a deliberer sur le parti qu'il convenait de prendre,
nous entendimes de nouveaux coups de fusil, mais beaucoup plus
rapproches que la premiere fois. Nous vimes deux pelotons de Cosaques
cherchant a envelopper sept fantassins de notr
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