nt, pour etre celle que
l'armee avait parcourue et qui conduisait a la Berezina, car la
quantite de cadavres dont elle etait jonchee et que la neige
recouvrait a demi, nous fit voir que nous ne nous etions pas trompes.
Des traces nouvelles nous firent aussi penser qu'il n'y avait pas
longtemps que de la cavalerie et de l'infanterie y avaient passe: la
trace des pas venant du cote ou nous devions aller, ainsi que le sang
que l'on voyait sur la neige, nous firent croire qu'un convoi de
prisonniers francais, que des Russes escortaient, avait passe il n'y
avait pas longtemps.
Il n'y avait pas de doute que nous etions derriere l'avant-garde
russe, et que bientot nous en verrions d'autres nous suivre. Comment
faire? Il fallait suivre la route. C'etait le seul parti a prendre.
C'etait aussi l'opinion de Picart: "Il me vient, dit-il, une
excellente idee. Vous allez faire l'arriere-garde et moi
l'avant-garde: moi devant, conduisant le cheval en avant si je ne vois
rien venir, et vous, mon pays, derriere, ayant la tete tournee du cote
de la queue, pour faire de meme."
Nous eumes un peu de peine, moi surtout, a mettre a execution l'idee
de Picart, en nous mettant dos a dos et faisant, comme il le disait,
le double aigle, ayant deux yeux derriere et deux devant. Nous primes
encore chacun un petit verre de genievre, en nous promettant encore de
garder le reste pour des moments plus urgents, et nous mimes notre
cheval au pas, au milieu de cette triste et silencieuse foret.
Le vent du nord commencait a devenir piquant, et l'arriere-garde en
souffrait a ne pouvoir tenir longtemps la position; mais, fort
heureusement, le temps etait assez clair pour distinguer les objets
d'assez loin, et le chemin qui traverse cette immense foret etait
presque droit, de maniere que nous n'avions pas a craindre d'etre
surpris dans les sinuosites.
Nous marchions environ depuis une demi-heure, quand nous rencontrames,
sur la lisiere du bois, sept paysans qui semblaient nous attendre.
Ils etaient sur deux rangs. Le septieme, qui nous parut deja age,
semblait les commander. Ils etaient vetus chacun d'une capote de peau
de mouton, leurs chaussures etaient faites d'ecorces d'arbres avec des
ligatures de meme; ils s'approcherent de nous, nous souhaiterent le
bonjour en polonais, et, ayant reconnu que nous etions Francais, cela
parut leur faire plaisir. Ensuite, ils nous firent comprendre qu'il
fallait qu'ils se rendent a Minsk, ou etait l'armee russe
|