sagrement,
c'est-a-dire quelques patrouilles de Cosaques, c'est parce qu'il etait
petit et dans un fond, mais que le contraire pourrait fort bien
arriver lorsque le caisson serait tout en feu.
La flamme commencait a eclairer et a me mettre a meme de voir tout ce
qui etait autour de moi. Je vis venir, sur ma gauche, quelque chose
que je pris d'abord pour un animal, et comme il y a beaucoup d'ours en
Russie, et surtout dans cette contree, je pensais et j'etais presque
certain, a la tournure de l'individu, que c'en etait un, car il
marchait a quatre pattes. Il pouvait etre a dix ou douze pas, et je ne
pouvais encore bien le distinguer. Lorsqu'il ne fut plus qu'a cinq ou
six pas, je reconnus que c'etait un homme, et de suite je pensai que
ce pouvait etre un blesse qui, attire par le feu, venait en prendre sa
part. Crainte de surprise, je me mis sur mes gardes, et, prenant mon
sabre qui etait pres de moi et hors du fourreau, j'avancai deux pas a
la rencontre et sur la droite de l'individu, en lui criant: "Qui
es-tu?"
En meme temps, je lui mettais la pointe de mon sabre sur le dos, car
j'avais reconnu que c'etait un Russe, un vrai Cosaque a longue barbe.
Aussitot, il leva la tete et se mit en position d'esclave, en voulant
me baiser les pieds et en me disant: "Dobray Frantsouz!"[33] et
d'autres mots que je comprenais un peu et que l'on dit lorsqu'on a
peur. S'il avait pu deviner, il aurait vu que j'avais, pour le moins,
aussi peur que lui. Il se mit sur les genoux pour me montrer qu'il
avait un coup de sabre sur la figure. Je remarquai que, dans cette
position, sa tete allait jusqu'a mon epaule, de sorte qu'il devait
avoir plus de six pieds. Je lui fis signe de s'approcher du feu. Alors
il me fit comprendre qu'il avait une autre blessure. C'etait une balle
qui lui etait entree dans le bas-ventre; tant qu'a son coup de sabre,
il etait effrayant. Il lui prenait sur le haut de la tete, descendant
le long de la figure jusqu'au menton, et allait se perdre dans la
barbe, preuve certaine que celui qui le lui avait applique n'allait
pas de main morte. Il se coucha sur le dos pour me montrer son coup de
feu; la balle avait traverse. Dans cette position, je m'assurai qu'il
n'avait pas d'armes. Ensuite il se mit sur le cote sans plus rien
dire. Je me mis en face pour l'observer. Je ne voulais plus
m'endormir, car je voulais, avant le jour, executer mon projet de
mettre le feu au caisson et de partir ensuite. Mais voila que, tout a
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