notre gauche, les empechait de nous aborder de plus pres.
Lorsque nous fumes a un quart de lieue de l'autre cote de la ville,
nous fumes un peu plus tranquilles; nous marchions tristes et
silencieux en pensant a notre position et a nos malheureux camarades
que nous avions ete forces d'abandonner; il me semblait les voir
encore nous suppliant de les secourir; en regardant derriere, nous en
vimes quelques-uns des moins blesses, presque nus, que les Russes
avaient deja depouilles, et qu'ils avaient ensuite abandonnes; nous
fumes assez heureux pour les sauver, au moins pour le moment; l'on
s'empressa de leur donner ce que l'on put pour les couvrir.
Le soir, l'Empereur coucha a Liadoui, village bati en bois; notre
regiment alla etablir son bivac un peu plus loin. En passant dans le
village ou etait l'Empereur, je m'arretai pres d'une mauvaise baraque
pour me chauffer a un feu qui s'y trouvait; j'eus le bonheur de
rencontrer encore le sergent Guignard, mon pays, ainsi que sa
cantiniere hongroise, avec qui je mangeai un peu de soupe de gruau et
un morceau de cheval qui me rendit un peu de force. J'en avais bien
besoin, car j'etais faible, n'ayant, pour ainsi dire, rien mange
depuis deux jours. Il me conta que, pendant la bataille, leur regiment
avait beaucoup souffert et qu'ils etaient considerablement diminues,
mais que ce n'etait rien en comparaison de nous, car il savait combien
nous avions perdu de monde dans le combat de la nuit du 15 au 16 et
dans la fatale journee que nous venions de passer; que, pendant tous
ces jours-la, il avait beaucoup pense a moi, et qu'il etait content de
me revoir avec tous les membres bons. Il me demanda des nouvelles du
capitaine Debonnez, mais je ne pus lui en donner, ne l'ayant pas vu
depuis la matinee du 16. Je le quittai pour rejoindre le regiment,
deja etabli pres de la route; cette nuit fut encore bien penible, car
il tomba une neige fondue qui nous mouilla, avec cela un grand vent et
pas beaucoup de feu; mais tout cela n'est rien encore aupres de ce
qu'on verra par la suite.
Pendant cette mauvaise nuit, plusieurs soldats des tirailleurs vinrent
se chauffer a notre feu; je leur demandai des nouvelles de
quelques-uns de mes amis, surtout de deux de mes pays qui etaient aux
Velites avec moi, et qui etaient officiers dans ce regiment. C'etait
M. Alexandre Legrand, des _Quatre fils Aymon_, de Valenciennes,
l'autre M. Laporte, de Cassel pres de Lille; ce dernier avait ete tue
d'un coup
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