tre l'animal, et je tombai de
lassitude, mais je m'etais rechauffe un peu.
En ramassant la hache qui m'etait echappee des mains je m'apercus que
j'avais casse plusieurs morceaux de glace; qui n'etaient autre chose
que du sang du cheval que, probablement, l'on avait saigne pour tuer.
J'en ramassai le plus possible, que je mis precieusement dans ma
carnassiere; ensuite j'en mangeai quelques morceaux qui me rendirent
un peu de force, et je me remis a continuer mon chemin, a la garde de
Dieu, ayant toujours soin de passer a droite et a gauche afin d'eviter
la rencontre des cadavres, dont la route etait jonchee, m'arretant et
tatonnant dans l'obscurite toutes les fois qu'un gros nuage passait
sur la lune, et allant le plus vite possible dans la direction du
bois, lorsqu'elle reparaissait.
Apres avoir marche quelque temps, j'apercus a peu de distance, et
devant moi, quelque chose que je pris d'abord pour un caisson; mais
etant plus pres, je reconnus que c'etait la voiture d'une cantiniere
d'un regiment de la Jeune Garde que j'avais rencontree plusieurs fois
depuis Krasnoe, conduisant deux blesses des fusiliers-chasseurs de la
Garde. Les chevaux qui la conduisaient etaient morts et en partie
manges ou coupes par morceaux; autour de la voiture etaient sept
cadavres presque nus et a moitie couverts de neige; un seulement avait
encore sur lui une capote en peau de mouton. Je m'en approchai pour
l'examiner, mais je crois plutot que c'etait pour lui oter cette
capote. A peine m'etais-je baisse pour regarder, que je reconnus une
femme. Elle donnait peut-etre encore quelque signe de vie lorsqu'on
avait ete force de l'abandonner, et c'etait a cela que cette
malheureuse devait d'avoir conserve ses vetements.
Dans la situation ou je me trouvais, le sentiment de ma conservation
etait toujours ma premiere pensee; c'est pourquoi, par un mouvement
irreflechi, je voulais essayer mes forces en cherchant a couper un
morceau de cheval, sans penser qu'un instant avant, j'etais tombe de
lassitude en voulant faire la meme chose. Je pris donc ma hache a deux
mains et j'attaquai le cheval qui etait dans les brancards de la
voiture, mais ce fut, comme la premiere fois, peine inutile. Alors
l'idee me vint de passer mon bras dans le corps du cheval et de voir
si, avec la main, je ne pourrais pas en retirer le coeur, le foie ou
quelque autre chose; mais je faillis l'avoir gelee; j'en fus quitte
pour un doigt de la main droite qui n'etait pas encor
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