ait et je vois tout ce qui m'entoure. Un
frisson me parcourt, je quitte mon point d'appui et je retombe
encore. Mais alors tout change. Je suis honteux de ma faiblesse et, au
lieu de la peur, une espece de frenesie s'empare de moi. Je me releve
en jurant et en mettant mes mains, mes pieds sur les figures, les
bras, les jambes, n'importe ou. Je regarde le ciel en jurant, et
semble le defier. Je prends mon fusil, je frappe contre la voiture, je
ne sais meme pas si je n'ai pas frappe sur les pauvres diables qui
etaient a mes pieds.
Devenu plus calme et decide a passer la nuit dans la voiture, pres des
blesses, pour me mettre a l'abri du mauvais temps, je pris un morceau
de sang a la glace dans ma carnassiere et je montai dedans, cherchant,
en tatonnant, celui qui m'avait demande a boire et qui ne cessait de
crier, mais faiblement. En m'approchant, je m'apercus qu'il etait
ampute de la cuisse gauche.
Je lui demandai de quel regiment il etait, il ne me repondit pas.
Alors, cherchant sa tete, je lui introduisis avec peine mon morceau de
sang glace dans la bouche. Celui qui etait a cote etait froid et dur
comme un marbre. J'essayai de le mettre en bas de la voiture pour
prendre sa place, attendre le jour et partir ensuite avec ceux que je
supposais etre encore en arriere, mais je n'en pus venir a bout. Je
n'avais pas la force de le bouger et, le bord de la voiture etant trop
haut, je ne pouvais le pousser a terre. Voyant que le premier n'avait
plus qu'un instant a vivre, je le couvris avec deux capotes que le
mort avait sur lui, et, restant encore un instant assis sur les jambes
de ce dernier, je cherchai dans la voiture s'il n'y avait rien qui put
m'etre utile. N'ayant rien trouve, j'adressai encore la parole au
premier, mais inutilement. Je lui passai la main sur la figure: elle
etait froide, et, a la bouche, il avait encore le morceau de glace que
je lui avais introduit. Il avait cesse de vivre et de souffrir.
Ne pouvant, sans m'exposer a perir, rester plus longtemps, je me
disposai a partir, mais, avant, je voulus encore regarder la femme qui
etait a terre, pensant que c'etait Marie, la cantiniere, que je
connaissais particulierement comme etant du meme pays que moi, et,
profitant de la clarte que la lune donnait dans ce moment, je
l'examinai et, a la taille et a la figure, je fus certain que c'etait
une autre personne.
Le fusil sous le bras droit, comme un chasseur, deux carnassieres, une
en maroquin rouge et l'a
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