dedans;
c'est elle a qui je dois le bonheur d'avoir pu, dans cette nuit
desastreuse, resister a un froid de plus de vingt-deux degres, car,
l'ayant arrangee sur l'epaule droite qui etait le cote de la direction
du vent du nord, je pus alors marcher ainsi pendant une heure, temps
auquel je suis persuade n'avoir pas fait plus d'un quart de lieue, car
souvent enveloppe par des tourbillons de neige, oblige de tourner
malgre moi, je me trouvais avoir retourne sur mes pas, et ce n'etait
que par les corps morts d'hommes, de chevaux, les debris de voitures
et autres, que j'avais passes un instant avant, que je m'apercevais
que je n'etais plus dans la meme direction; alors il fallait
m'orienter de nouveau.
La lune, ou une lueur boreale comme on en voit souvent dans le nord,
se montrait par moments; lorsqu'elle n'etait pas obscurcie par des
nuages noirs qui marchaient d'une vitesse effrayante, elle me mettait
a meme de distinguer les objets: j'apercus, mais bien loin encore, une
masse noire que je supposai etre cette immense foret que nous devions
traverser avant d'arriver a la Berezina, car nous etions alors en
Lithuanie; suivant moi, cette foret pouvait encore se trouver a une
lieue du point ou j'etais.
Malheureusement le sommeil qui, dans cette circonstance, etait presque
toujours l'avant-coureur de la mort, commenca a me gagner; mes jambes
ne pouvaient plus me soutenir; mes forces etaient epuisees; deja
j'etais tombe plusieurs fois en dormant, et, sans le froid de la neige
qui me reveillait, je me serais laisse aller; c'en etait fait de moi
si j'avais eu le malheur de succomber a l'envie de dormir.
L'endroit ou je me trouvais etait couvert d'hommes et de chevaux morts
qui me barraient la route et m'empechaient de me trainer, car je
n'avais plus la force de lever les jambes. Lorsque je tombais, il me
semblait que c'etait un de ces malheureux etendus sur la neige qui
venait de m'arreter, car il arrivait souvent que des hommes couches et
mourants au milieu du chemin cherchaient a attraper par les jambes
ceux qui marchaient pres d'eux, afin d'implorer leur secours, et
souvent il est arrive que ceux qui se baissaient pour secourir leurs
camarades tombaient sur eux pour ne plus se relever.
Je marchai environ dix minutes sans direction; j'allais comme un homme
ivre; mes genoux flechissaient sous le poids de mon faible corps;
enfin je voyais ma derniere heure, quand tout a coup, chopant contre
le sabre d'un cavalier qui se t
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