ue pour nous. Les pauvres betes, independamment de
ce qu'elles souffraient par la rigueur du froid, etaient obligees de
ronger les arbres pour se nourrir, en attendant qu'a leur tour elles
nous servent de nourriture.
Apres cela, Melet n'etait pas le seul qui s'exposa en s'introduisant
dans le camp des Russes pour se procurer des vivres; beaucoup furent
pris et perirent de cette maniere, soit par les paysans, en
s'introduisant dans les villages a une lieue ou deux sur la droite ou
sur la gauche de la route, ou par des partisans de l'armee russe, car
toutes les nations soumises a cet empire se levaient en masse et
venaient rejoindre le gros de l'armee. Enfin, la misere etait
tellement grande qu'on voyait les soldats quitter leur regiment a la
moindre trace d'un chemin, et cela dans l'espoir de trouver quelque
mauvais village, si toutefois l'on peut appeler de ce nom la reunion
de quelques mauvaises baraques baties avec des troncs d'arbres et dans
lesquelles on ne trouvait rien, car je n'ai jamais pu savoir de quoi
les paysans se nourrissaient, et ceux qui s'exposaient a faire de
pareilles courses s'en revenaient quelquefois avec un morceau de pain
noir comme du charbon, rempli de morceaux de paille longs comme le
doigt, et de grains d'orge, et puis tellement dur qu'il etait
impossible de mordre dedans, d'autant plus que l'on avait les levres
crevassees et fendues par suite de la gelee. Pendant toute cette
malheureuse campagne, je n'ai jamais vu que, dans ces courses, il y en
ait eu un qui ait ramene avec lui soit une vache, ou un mouton; aussi
je ne sais de quoi vivent ces sauvages, et il faut bien qu'ils aient
peu de betail, pour que l'on ne puisse pas en trouver un peu; enfin
c'est le pays du diable, car l'enfer est partout.
VII
La retraite continue.--Je prends femme.--Decouragement.--Je perds de
vue mes camarades.--Scenes dramatiques.--Rencontre de Picart.
Le 18 novembre, qui etait le lendemain de la bataille de Krasnoe, nous
partimes de grand matin de notre bivac. Dans cette journee, notre
marche fut encore bien fatigante et triste; il avait degele, nous
avions les pieds mouilles et, jusqu'au soir, il fit un brouillard a ne
pas s'y voir. Nos soldats marchaient encore en ordre, mais il etait
facile a voir que les combats des jours precedents les avaient
demoralises, et surtout l'abandon force de leurs camarades qui leur
tendaient les bras, car ils pensaient aussi que le meme sort les
attendait.
Ce j
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