de mitraille; on avait, fort heureusement, trouve une petite
voiture avec un cheval que l'on avait enleve dans le camp des Russes,
le jour du combat de nuit, dans laquelle on le conduisait.
Il etait environ minuit, qu'une sentinelle de notre bivac me fit
prevenir qu'il apercevait un cavalier qui paraissait venir de notre
cote: je courus de suite, avec deux hommes armes, afin de voir ce que
ce pouvait etre. Arrive a une certaine distance, je distinguai
parfaitement un cavalier, mais precede d'un fantassin que le cavalier
paraissait faire marcher de force. Lorsqu'ils furent pres de nous, le
cavalier se fit connaitre: c'etait un dragon de la Garde qui, pour se
procurer des vivres pour lui et son cheval, s'etait introduit dans le
camp des Russes, pendant la nuit, et, pour qu'on ne fit pas attention
a lui, s'etait coiffe du casque d'un cuirassier russe qu'il avait tue
le meme jour; il avait, de cette maniere, parcouru une partie du camp
ennemi, avait enleve une botte de paille, un peu de farine, et blesse
d'un coup de sabre une sentinelle avancee et culbute une autre qu'il
amenait prisonniere. Ce brave dragon se nommait Melet; il etait de
Conde; il resta avec nous le reste de la nuit. Il me disait que ce
n'etait pas pour lui qu'il s'exposait, que c'etait pour son cheval,
pour le pauvre Cadet, comme il l'appelait. Il voulait, disait-il, a
quelque prix que ce soit, lui procurer de quoi le nourrir, "car si je
sauve mon cheval, a son tour il me sauvera". C'etait la seconde fois,
depuis Smolensk. qu'il s'introduisait dans le camp des Russes. La
premiere fois, il avait enleve un cheval tout harnache.
Il eut le bonheur de rentrer en France avec son cheval, avec lequel il
avait deja fait les campagnes de 1806-1807 en Prusse, en Pologne, 1808
en Espagne, 1809 en Allemagne, 1810-1811 en Espagne, et 1812 en
Russie, ensuite 1813 en Saxe et 1814 en France. Son pauvre cheval fut
tue a Waterloo, apres avoir assiste dans plus de douze grandes
batailles commandees par l'Empereur, et dans plus de trente combats.
Dans le cours de cette malheureuse campagne, je le rencontrai encore
une fois, faisant un trou dans la glace avec une hache, au milieu d'un
lac, afin de procurer de l'eau a son cheval. Un jour, je l'apercus au
haut d'une grange qui etait toute en feu, au risque d'etre devore par
les flammes, et cela toujours pour son cheval, afin d'avoir un peu de
paille du toit pour le nourrir, car il n'y avait pas plus a manger
pour les chevaux q
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