our-la, j'etais tres fatigue; un soldat de la compagnie, nomme
Labbe, qui m'etait tres attache, et qui, la veille, avait perdu son
sac, voyant que je marchais avec beaucoup de peine, me demanda le mien
a porter. Comme je le connaissais pour un brave garcon, je le lui
confiai, et, certainement, c'etait lui confier ma vie, car il y avait
dedans plus d'une livre de riz et du gruau que le hasard m'avait
procure a Smolensk, et que je conservais pour les moments les plus
critiques, que je prevoyais arriver bientot, lorsqu'il n'y aurait plus
de chevaux a manger. Ce jour-la, l'Empereur marchait a pied, un baton
a la main.
Le soir, la gelee ayant repris, il fit un verglas a ne pas se tenir,
les hommes tombaient a chaque instant, plusieurs furent grievement
blesses. Je marchais derriere la compagnie, ayant toujours, autant que
possible, les yeux sur mon porteur de sac, et meme je regrettais deja
de le lui avoir confie; aussi je me proposais bien de le lui reprendre
le soir meme, en arrivant au bivac. Enfin la nuit arriva, mais
tellement obscure, qu'il etait impossible de se voir. A chaque instant
j'appelais: "Labbe! Labbe!" Il me repondait: "Present! mon sergent."
Mais une autre fois que je l'appelais encore, un soldat me repondit
qu'il y avait un instant, il etait tombe, mais que, probablement, il
suivait derriere le regiment. Je ne m'en inquietai pas beaucoup, car
nous devions, dans peu, arreter et prendre position. En effet, l'on
fit halte sur la route ou l'on nous annonca que nous allions passer la
nuit, ainsi que dans les environs. Dans ce moment, presque toute
l'armee se trouvait reunie; il manquait seulement le corps d'armee du
marechal Ney, qui se trouvait en arriere, et que l'on croyait perdu.
Dans cette triste nuit, chacun s'arrangea comme il put; nous nous
trouvions plusieurs sous-officiers reunis et nous nous etions empares
d'une grange, car nous etions, sans le savoir, pres d'un village.
Beaucoup d'hommes du regiment y etaient entres avec nous, mais ceux
qui arriverent un instant apres, voyant qu'il n'y avait pas, pour eux,
de quoi s'abriter, firent ce que l'on faisait en pareille
circonstance: ils monterent sur le toit, sans que nous pussions nous y
opposer, et, en un instant, nous fumes aussi bien qu'en plein champ.
Dans le moment, l'on vint nous dire que, plus loin sur la route, il y
avait une eglise--c'etait un temple grec--que l'on avait designee pour
notre regiment, mais qu'elle se trouvait occupee par des s
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