, comme a une parade, et suivis de l'artillerie
russe qui nous ecrasait par sa mitraille. En nous retirant, nous
entrainions avec nous ceux de nos camarades qui etaient le moins
blesses.
Le moment ou nous quittames le champ de bataille fut terrible et
triste, car lorsque nos pauvres blesses virent que nous les
abandonnions au milieu d'un champ de mort, et entoures d'ennemis,
surtout ceux du 1er voltigeurs, dont une partie avait les jambes
brisees par la mitraille, nous en vimes plusieurs se trainant
peniblement sur leurs genoux, rougissant la neige de leur sang; ils
levaient les mains au ciel en jetant des cris qui dechiraient le
coeur, pour implorer notre secours; mais que pouvions-nous faire? Le
meme sort nous attendait a chaque instant, car, en nous retirant, nous
etions obliges d'abandonner ceux qui tombaient dans nos rangs.
En passant sur l'emplacement qu'occupaient les fusiliers-chasseurs qui
etaient places a notre droite, et qui marchaient devant nous, et comme
notre second bataillon, celui dont je faisais partie, formait, dans ce
moment, l'arriere-garde et l'extreme gauche de la retraite, je vis
plusieurs de mes amis etendus morts sur la neige et horriblement
mutiles par la mitraille; parmi eux etait un jeune sous-officier avec
qui j'etais intimement lie: il se nommait Capon; il etait de Bapaume;
nous nous regardions comme pays.
Apres avoir passe l'emplacement des fusiliers-chasseurs, et comme nous
etions a l'entree de la ville, nous vimes, a notre gauche, a dix pas
de la route et contre la premiere maison, des pieces de canon qui,
pour nous proteger, faisaient feu sur les Russes qui s'avancaient;
elles etaient soutenues et suivies par environ quarante hommes, tant
canonniers que voltigeurs; c'etait le reste d'une brigade commandee
par le general Longchamps; il sortait de la Garde imperiale; il etait
la avec tout ce qui lui restait, pour les sauver ou mourir avec eux.
Aussitot qu'il apercut notre colonel, il vint a lui les bras ouverts;
ils s'embrasserent comme deux hommes qui ne s'etaient pas vus depuis
longtemps et qui, peut-etre, se revoyaient pour la derniere fois. Le
general, les yeux remplis de larmes, dit a notre colonel, en lui
montrant les deux pieces de canon et le peu d'hommes qui lui
restaient: "Tiens, regarde! Voila ce qui me reste!" Ils avaient fait
ensemble les campagnes d'Egypte.
Cette bataille fit dire a Kutusow, general en chef de l'armee russe,
que les Francais, loin de se laisser a
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