avec deux pieces de canon chargees a mitraille, qui ecraserent le
regiment. Alors ils entrerent dans le carre et acheverent le reste a
coups de sabre: ces malheureux, presque tous jeunes soldats, ayant en
partie les pieds et les mains geles, ne pouvant plus faire usage de
leurs armes pour se defendre, furent presque tous massacres.
Cette scene se passait devant nous, sans pouvoir leur porter secours;
onze hommes rentrerent; le reste fut tue, blesse ou prisonnier, et
conduit a coups de sabre dans un petit bois qui etait en face de nous;
le colonel lui-meme[30], couvert de blessures, ainsi que plusieurs
officiers, furent prisonniers.
[Note 30: Colonel Luron. (_Note de l'auteur_.)]
J'oubliais de dire qu'au moment ou nous nous mettions en bataille, le
colonel avait commande: "Drapeaux, guides generaux sur la ligne!" que
je me portai guide general de droite de notre regiment; mais l'on
oublia de nous faire rentrer et, comme j'avais pour principe de rester
a mon poste, tel qu'il fut, je restai dans cette position, la crosse
du fusil en l'air, pendant pres d'une heure, et malgre les boulets a
qui je pouvais servir de point de mire, je ne bougeais pas.
Pendant ce temps, et au moment ou l'artillerie russe faisait le plus
de ravage dans nos rangs, le colonel eut un pressant besoin (besoin
naturel); la position et le lieu ne convenaient pas beaucoup pour une
pareille besogne, mais, comme la chose pressait, il prit son parti et,
se retirant a environ soixante pas du regiment, et le derriere tourne
a l'ennemi, il acheva tranquillement son affaire. Si quelque chose le
genait, c'etait le froid, mais pour les Russes a qui il servait de
point de mire, cela ne l'inquietait pas, quoiqu'il pouvait bien les
voir, et c'est en se relevant de cette position qu'il commanda:
"Drapeaux et guides generaux a vos places!"
Il pouvait etre deux heures, et deja nous avions perdu le tiers de
notre monde, mais les fusiliers-chasseurs avaient ete plus maltraites
que nous: etant plus rapproches de la ville, ils etaient exposes a un
feu plus meurtrier. Depuis une demi-heure, l'Empereur s'etait retire
avec les premiers regiments de la Garde et en suivant la grande route;
il ne restait plus que nous sur le champ de bataille, et quelques
pelotons de differents corps, faisant face a plus de cinquante mille
hommes ennemis. Dans ce moment, le marechal Mortier ordonne la
retraite, et, aussitot, nous commencons notre mouvement, en nous
retirant et au pas
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