nuit du 15 au 16. Le tout etait commande par
l'Empereur en personne, qui etait a pied. S'avancant d'un pas ferme,
comme au jour d'une grande parade, il alla se placer au milieu du
champ de bataille, en face des batteries de l'ennemi.
Au moment ou nous prenions position sur le bord de la route pour nous
mettre en bataille et faire face a l'ennemi, je marchais avec deux de
mes amis, Grangier et Leboude, derriere l'adjudant-major Delaitre, et,
au moment ou les Russes commencaient a nous apercevoir, leur
artillerie, qui n'etait pas eloignee a une demi-portee, nous lacha sa
premiere bordee. Le premier qui tomba fut l'adjudant-major Delaitre:
un boulet lui coupa les deux jambes, juste au-dessus des genoux et de
ses grandes bottes a l'ecuyere; il tomba sans jeter un cri, ni meme
pousser une plainte. Dans ce moment, il tenait son cheval par la
bride, qu'il avait passee dans son bras droit, et marchait a pied. A
peine fut-il tombe, que nous arretames, parce que, de la maniere dont
il etait tombe, il barrait le petit chemin sur lequel nous marchions.
Il fallait, pour continuer a marcher, enjamber au-dessus, et, comme,
je marchais apres lui, je fus oblige de faire ce mouvement.
En passant, je l'examinai: il avait les yeux ouverts; ses dents
claquaient convulsivement les unes contre les autres. Il me reconnut
et m'appela par mon nom. Je m'approchai pour l'ecouter. Alors il me
dit d'une voix assez haute, ainsi qu'aux autres qui le regardaient:
"Mes amis, je vous en prie, prenez mes pistolets dans les arcons de la
selle de mon cheval et brulez-moi la cervelle!" Mais personne n'osa
lui rendre ce service, car, dans une semblable position, c'en etait
un. Sans lui repondre, nous passames en continuant notre chemin, et
fort heureusement, car nous n'avions pas fait six pas, qu'une seconde
decharge, probablement de la meme batterie, vint abattre trois autres
hommes parmi ceux qui nous suivaient et que l'on fit emporter de
suite, ainsi que l'adjudant-major.
Depuis la pointe du jour, l'on voyait l'armee russe qui, de trois
cotes, devant nous, a droite et derriere, avec son artillerie, faisait
mine de vouloir nous entourer. Dans ce moment, un instant apres que
l'adjudant-major venait d'etre tue, l'Empereur arriva; nous venions de
terminer notre mouvement: alors la bataille commenca.
Avec son artillerie, l'ennemi nous envoyait des bordees terribles qui,
a chaque fois, portaient la mort dans nos rangs. Nous n'avions, de
notre cote, pour
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