a traverse. Quoique blesse mortellement, il ne
tomba pas sur le coup; il recula en chancelant, et en me regardant
d'un air menacant, sans lacher son arme, et alla tomber sur le cheval
de l'officier qui se trouvait contre la barriere. L'adjudant-major,
passant pres de lui, lui porta un coup de sabre dans le cote qui
accelera sa chute; au meme instant, je revins pres du colonel que je
trouvai abime de fatigue, n'ayant plus la force de commander; il
n'avait pres de lui que son sapeur. L'adjudant-major arriva avec son
sabre ensanglante, en nous disant que, pour traverser la melee et
rejoindre le colonel, il avait ete oblige de se faire jour a coups de
sabre, mais qu'il arrivait avec un coup de baionnette dans la cuisse
droite. Dans ce moment, le sapeur qui soutenait le colonel fut atteint
d'une balle dans la poitrine. Le colonel, s'en etant apercu, lui dit:
"Sapeur, vous etes blesse?--Oui, mon colonel", repond le sapeur, et,
prenant la main du colonel, il lui fit sentir sa blessure en lui
mettant son doigt dans le trou et en lui disant: "Ici, mon
colonel!--Alors, retirez-vous!" Le sapeur lui repondit qu'il avait
encore assez de force pour le soutenir ou mourir avec lui, ou seul a
cote de lui, s'il le fallait: "Apres tout, reprit l'adjudant-major, ou
irait-il? Se jeter dans un parti ennemi! Nous ne savons ou nous
sommes, et je vois bien que, pour nous reconnaitre, nous serons
obliges d'attendre le jour en combattant!"
Effectivement, nous etions tout a fait desorientes, a cause de la
lueur de l'incendie; le regiment se battait sur plusieurs points et
par pelotons.
Il n'y avait pas cinq minutes que le sapeur etait blotti, que les
Russes qui etaient dans la ferme et que nous tenions etroitement
bloques, se voyant sur le point d'etre brules, voulurent se rendre: un
sous-officier blesse vint au milieu d'une grele de balles en faire la
proposition. Alors, l'adjudant-major m'envoya commander que l'on
cessat le feu: "Cesser le feu! me repondit un soldat de notre
regiment, qui etait blesse; cessera qui voudra, mais, puisque je suis
blesse et que, probablement, je perirai, je ne cesserai de tirer que
lorsque je n'aurai plus de cartouches!"
En effet, blesse comme il l'etait d'un coup de balle qui lui avait
casse la cuisse, et assis sur la neige qu'il rougissait de son sang,
il ne cessa de tirer et meme de demander des cartouches aux autres.
L'adjudant-major, voyant que ses ordres n'etaient pas executes, vint
lui-meme, disait-il,
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