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de passer la nuit a couvert et pres d'un feu que nous venions
d'allumer; mais il en fut tout autrement.
Pendant que nous etions dans Krasnoe et autour, l'armee russe, forte,
dit-on, de quatre-vingt-dix mille hommes, nous entourait, car devant
nous, a droite, a gauche et derriere, ce n'etait que Russes qui
croyaient, probablement, faire bon marche de nous. Mais l'Empereur
voulut leur faire sentir que la chose n'etait pas aussi facile qu'ils
le pensaient, car, si nous etions malheureux, mourants de faim et de
froid, il nous restait encore quelque chose qui nous soutenait:
l'honneur et le courage. Aussi l'Empereur, fatigue de se voir suivre
par cette nuee de barbares et de sauvages, resolut de s'en
debarrasser.
Le soir de notre arrivee, le general Roguet recut l'ordre d'attaquer,
pendant la nuit, avec une partie de la Garde, les regiments de
fusiliers-chasseurs, grenadiers, voltigeurs et tirailleurs: a onze
heures du soir, l'on envoya quelques detachements, afin de faire une
reconnaissance et de bien s'assurer de la position de l'ennemi, qui
occupait deux villages devant lesquels il avait etabli son camp, et
dont on connut la direction par la position de leurs feux; il est
probable qu'il craignait quelque chose, car, lorsque nous fumes
l'attaquer, une partie etait deja en mesure de nous recevoir.
Il pouvait etre une heure du matin lorsque le general vint me dire,
avec son accent gascon: "Sergent, vous allez laisser ici un caporal et
quatre hommes pour garder mon logement et le peu d'effets qu il me
reste; vous, retournez au camp rejoindre le regiment avec votre garde;
tout a l'heure, nous aurons de la besogne!"
Je le dirai franchement, cet ordre ne me fit pas plaisir; ce n'etait
certainement pas la crainte de me battre, mais c'etait la peine que
j'avais de perdre quelques moments de repos, dont j'avais tant besoin.
Lorsque j'arrivai au camp, chacun etait deja occupe a preparer ses
armes; je les trouvai disposes a bien se battre; plusieurs me dirent
qu'ils esperaient trouver une fin a leurs souffrances, car il leur
etait impossible de resister davantage.
Il etait deux heures lorsque le mouvement commenca; nous nous mimes en
marche sur trois colonnes: les fusiliers-grenadiers, dont je faisais
partie, et les fusiliers-chasseurs formaient celle du centre; les
tirailleurs et voltigeurs celles de droite et de gauche. Il faisait un
froid comme les jours precedents; nous marchions avec peine, au milieu
des terr
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