. Aussi, aux premiers coups que l'on tira, on les vit
disparaitre derriere les hauteurs, et nous continuames a marcher.
Dans cette circonstance, il s'est passe un fait que je ne dois pas
passer sous silence, et dont j'ai eu connaissance pour en avoir
entendu parler, mais differemment conte, et meme ecrit.
L'on a dit qu'au moment ou l'on apercut les Russes, les premiers
regiments de la Garde se grouperent, ainsi que l'etat-major, autour de
l'Empereur, et que, de cette maniere, l'on marcha comme si l'ennemi ne
fut pas devant nous; que la musique joua l'air:
Ou peut-on etre mieux qu'au sein de sa famille?
et que l'Empereur interrompit la musique en ordonnant de jouer:
Veillons au salut de l'Empire!
Le fait que l'on rapporte s'est bien passe, mais d'une maniere toute
differente, car c'est a Smolensk meme que la chose s'etait passee. Je
crois ne pas me tromper en disant que c'est le jour meme de notre
depart de cette ville que j'en ai entendu parler.
Le prince de Neufchatel, alors ministre de la guerre, voyant que
l'Empereur ne donnait pas d'ordre de depart et l'inquietude de toute
l'armee a cet egard, vu l'impossibilite de rester dans une aussi
triste position, reunit quelques musiciens et leur ordonna de jouer,
sous les croisees de la maison ou l'Empereur etait loge, l'air:
Ou peut-on etre mieux qu'au sein de sa famille?
A peine avait-on commence, que l'Empereur se montra sur le balcon, et
qu'il commanda de jouer:
Veillons au salut de l'Empire!
que les musiciens executerent tant bien que mal, malgre leur misere.
Un instant apres, l'ordre du depart fut donne pour le lendemain matin.
Comment croire que les malheureux musiciens, en supposant meme qu'ils
se fussent trouves a la droite du regiment, chose que l'on ne voyait
plus depuis le commencement de nos desastres, eussent ete capables de
souffler dans leurs instruments ou de faire aller leurs doigts, dont
une partie les avaient geles? Mais, a Smolensk, la chose etait plutot
possible, parce qu'il y avait du feu et que l'on se chauffait.
Deux heures apres la rencontre des Russes, l'Empereur arrive a
Krasnoe, avec les premiers regiments de la Garde, notre regiment et
les fusiliers-chasseurs. Nous bivaquames en arriere de la ville; en
arrivant, je fus commande de garde avec quinze hommes, chez le general
Roguet, qui etait loge en ville, dans une mauvaise maison couverte en
chaume. J'etablis mon poste dans une ecurie, m'estimant tres he
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