enait de tomber pour ne plus se relever. Ainsi, a
chaque instant, l'on etait oblige d'enjamber au-dessus des morts et
des mourants.
Comme nous continuions toujours, quoique avec beaucoup de difficulte,
a marcher sur la droite de la route, pour depasser les convois, nous
vimes un soldat de la ligne assis contre un arbre ou il y avait un
petit feu: il etait occupe a faire fondre de la neige dans une
marmite, afin d'y faire cuire le foie et le coeur d'un cheval qu'il
avait eventre. Il nous dit que, n'ayant pu en couper de la viande, il
avait, avec sa baionnette, fait un trou au ventre, d'ou il avait tire
ce qu'il allait faire cuire.
Comme nous avions du riz et du gruau, nous lui proposames de nous
preter sa marmite pour en faire cuire, et que nous le mangerions
ensemble. Il accepta avec plaisir. Ainsi, avec du riz et du gruau ou
il y avait autant de paille, nous fimes une soupe que nous
assaisonnames avec un morceau de sucre que Grangier avait dans son
sac, ne voulant pas la saler avec de la poudre, car nous n'avions pas
de sel. Pendant que notre soupe cuisait, nous nous occupames a faire
cuire, au bout de nos sabres, des morceaux de foie et les rognons du
cheval, que nous trouvames delicieux. Lorsque notre riz fut a moitie
cuit, nous le mangeames, et nous rejoignimes le regiment qui nous
avait deja depasses. Le meme jour, l'Empereur coucha a Korouitnia, et
nous un peu en arriere, dans un bois.
Le lendemain, l'on se mit en route de grand matin, pour atteindre
Krasnoe, mais, avant d'arriver a cette ville, la tete de la colonne
imperiale fut arretee par vingt-cinq mille Russes qui barraient la
route. Les premiers de l'armee qui les apercurent etaient des hommes
isoles qui, aussitot, se replierent sur les premiers regiments de la
Garde, mais la plus grande partie, moins intimidee ou plus valide, se
reunit et fit face a l'ennemi. Il y eut quelques hommes insouciants ou
malheureux qui, sans s'en apercevoir, furent se jeter au milieu d'eux.
Les grenadiers et les chasseurs de la Garde s'etant formes en colonnes
serrees par division, s'avancerent de suite sur la masse des Russes
qui, n'osant pas les attendre, se retirerent et laisserent le passage
libre; mais ils prirent position sur les hauteurs a gauche de la route
et tirerent quelques volees de coups de canon. Au bruit du canon, et
comme nous etions en arriere, nous doublames le pas et nous arrivames
au moment ou l'on menait quelques pieces en batterie pour les
classer
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