aient
cinq hommes qui se battaient comme des chiens; a cote d'eux etait une
cuisse de cheval qui faisait l'objet de leurs discussions. L'un de ces
hommes, en me voyant, vint jusqu'a moi en me disant que lui et son
camarade, tous deux soldats du train, avaient, avec d'autres, ete tuer
un cheval derriere le bois, et que, revenant avec leur part qu'ils
portaient au bivac, ils avaient ete attaques par trois hommes d'un
autre regiment qui voulaient la leur prendre, mais que, si je voulais
les aider a la defendre, ils m'en donneraient ma part. A mon tour,
craignant le meme sort pour mes pommes de terre, je lui repondis que
je ne pouvais m'arreter, mais qu'ils n'avaient qu'a tenir bon un
instant, que je leur enverrais quelqu'un pour les aider. Je poursuivis
mon chemin.
Pas loin de la, je rencontrai deux hommes de notre regiment a qui je
contai l'affaire; ils marcherent de ce cote. J'ai su, le lendemain,
qu'ils n'avaient vu, en arrivant, qu'un homme mort qui venait d'etre
assomme avec un gros baton de sapin qu'ils avaient trouve a cote, et
rouge de sang. Probablement que les trois agresseurs avaient profite
du moment ou l'autre implorait mon assistance pour se defaire de celui
qui etait reste seul.
A mon arrivee a l'endroit ou etait le regiment, plusieurs de mes
camarades me demanderent si je n'avais rien decouvert; je leur
repondis que non. Ensuite, prenant ma place pres du feu, je fis comme
tous les jours; je creusai ma place, c'est-a-dire mon lit de neige,
et, comme nous n'avions pas de paille, j'etendis ma peau d'ours pour
me coucher, la tete sur mon collet double en peau d'hermine etendu
sur moi. Je me disposais a passer la nuit, mais, avant de dormir,
j'avais encore une pomme de terre a manger; c'est ce que je fis, cache
par mon collet, faisant le moins de mouvements possible, de crainte
que l'on ne s'apercoive que je mangeais quelque chose, et, prenant une
pincee de neige pour me desalterer, je finis mon repas et je
m'endormis, ayant bien soin de tenir dans mes bras ma carnassiere,
dans laquelle etaient mes vivres. Plusieurs fois dans la nuit, lorsque
je me reveillais, j'avais soin de passer la main dedans, et de compter
mes pommes de terre. C'est ainsi que je la passai, sans faire part a
mes amis, qui mouraient de faim, du peu que le hasard m'avait procure:
c'est, de ma part, un trait d'egoisme que je ne me suis jamais
pardonne.
La diane n'etait pas encore battue que, deja, j'etais eveille et assis
sur mon sac,
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