la Garde du regiment dont il faisait partie, et
j'appris qu'il n'y avait qu'un moment qu'il etait tombe mort sur la
route, et qu'en cet endroit, le chemin etant creux et retreci, l'on
n'avait pu le mettre sur le cote de la route, et que toute
l'artillerie lui avait passe sur le corps, ainsi qu'a plusieurs autres
qui avaient succombe au meme endroit.
Je continuais de marcher dans un sentier etroit, a gauche de la route
et dans le bois. Je venais, dans ce moment, d'etre joint par un de mes
amis, sergent du meme regiment que moi, lorsque, sur notre chemin,
nous trouvames un canonnier de la Garde couche en travers du sentier,
et qui nous empechait de passer. A cote etait un autre canonnier
occupe a le depouiller de ses vetements; nous nous apercumes que cet
homme n'etait pas mort, car il faisait aller les jambes et frappait,
par moments, la terre avec les mains fermees.
Mon camarade, surpris ainsi que moi, applique, sans rien dire, un
grand coup de crosse de fusil dans le dos de ce miserable, qui se
retourna. Mais sans lui donner le temps de nous parler, nous lui fimes
des reproches violents sur son acte de barbarie. Il nous repondit que,
s'il n'etait pas mort, il ne tarderait pas a l'etre puisque, lorsqu'on
l'avait depose a l'endroit ou il etait, pour ne pas le laisser sur le
chemin et broyer par l'artillerie, il ne donnait plus aucun signe de
vie; que, d'abord, c'etait son camarade de lit, qu'il valait mieux que
ce fut lui qui ait sa depouille qu'un autre.
Ce que je viens de citer est arrive souvent sur des malheureux
soldats, que l'on supposait avoir de l'argent, car au lieu de les
aider a se relever, il y en avait qui restaient pres de ceux qui
tombaient, non pour les soulager, mais pour faire comme le canonnier.
Je n'aurais pas du, pour l'honneur de l'espece humaine, ecrire toutes
ces scenes d'horreur, mais je me suis fait un devoir de dire tout ce
que j'ai vu. Il me serait impossible de faire autrement, et, comme
tout cela me bouleverse la tete, il me semble qu'une fois que je
l'aurai mis sur le papier, je n'y penserai plus. Il faut dire aussi
que si, dans cette campagne desastreuse, il s'est commis des actes
infames, il s'est aussi fait des traits d'humanite qui nous honorent,
car j'ai vu des soldats porter, pendant plusieurs jours, sur leurs
epaules, un officier blesse.
Comme nous allions sortir du bois, nous rencontrames une centaine de
lanciers bien montes, equipes a neuf: ils venaient de Smolensk qu'ils
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