l me demanda si l'on avait fait une
distribution d'eau-de-vie. Je lui repondis que non, et que, jusqu'a
present, je n'en avais pas entendu parler; qu'il n'y avait pas
apparence d'en avoir: "Alors, dit-il, il faut mourir!"
Le jeune officier allemand ne put resister plus longtemps en voyant un
vieux guerrier souffrir de la sorte; il leva son manteau, et, tirant
une bouteille de sa poche avec de l'eau-de-vie, il la lui, presenta:
"Merci, dit-il, vous m'empechez de mourir; si une occasion se
presentait de vous sauver la vie aux depens de la mienne, vous pouvez
etre assure que je ne balancerais pas un instant! Assez cause,
rappelez-vous Roland, chasseur a cheval de la Vieille Garde imperiale
a pied, ou, pour ainsi dire, sans pieds, pour le moment. Il y a trois
jours que j'ai du abandonner mon cheval, et, pour ne pas le laisser
souffrir plus longtemps, je lui ai brule la cervelle. Ensuite, je lui
ai coupe un morceau de la cuisse dont je vais manger un peu."
En disant la parole (_sic_), il tourna son portemanteau qu'il avait
sur son dos, et en tira de la viande de cheval qu'il offrit d'abord a
l'officier qui lui avait donne de l'eau-de-vie, et ensuite a moi.
L'officier lui presenta encore sa bouteille et le pria de la garder.
Le vieux chasseur ne savait plus comment lui temoigner sa
reconnaissance. Il lui repeta encore, soit en garnison, ou en
campagne, de se rappeler de lui, et finit par dire: "Les bons enfants
ne periront jamais!" Mais il reprit aussitot qu'il venait de dire une
grosse betise, "car, dit-il, que de milliers d'hommes morts depuis
trois jours et qui certainement me valaient bien; tel que vous me
voyez, j'ai ete en Egypte et je vous f... mon billet que j'en ai vu
des grises; je ne sais pas si vous le savez, mais n... d. D... il n'y
a pas de comparaison avec celle-ci. Il faut esperer que nous sommes au
bout de nos peines, et que cela va finir, car l'on dit que nous allons
prendre des cantonnements en attendant le printemps, ou j'espere que
nous reprendrons notre revanche!"
Le pauvre vieux, a qui deux ou trois gorgees d'eau-de-vie avaient
rendu la parole, ne soupconnait pas que nous n'etions qu'au
commencement de nos peines!
Il etait bien onze heures, que l'espoir de rencontrer Grangier, meme
pendant la nuit, ne m'avait pas abandonne. Je me fis indiquer, par
l'officier de poste, la direction ou il supposait que le marechal
Bessieres etait loge, mais, soit que je fus mal informe, ou que j'eus
mal compris,
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