t qu'il n'y avait
pas plus de trois a quatre pieds de haut, je monte dessus et je saute
de l'autre cote. Mes pieds ayant rencontre quelque chose de bombe, je
tombe sur mes genoux; je me releve sans m'etre fait mal, je fais
encore quelques pas et je sens que le terrain n'est pas egal. Pour ne
pas tomber, je m'appuie sur mon fusil. Je m'apercois, bientot que je
suis au milieu de plus de deux cents cadavres a peine recouverts de
neige. Pendant que j'avance en trebuchant, appuye sur mon fusil, et
que mes pieds s'enfoncent et sont quelquefois tenus entre les jambes
et les bras de ceux sur lesquels je marche, et qui semblent arranges
avec symetrie, afin de faire place a d'autres, des chants lugubres se
font entendre. Il me semble que c'est l'office des morts. Les paroles
de Beloque me reviennent a la memoire; une sueur me prend, je ne sais
plus ce que je fais, ni ou je vais. Je me trouve, je ne sais comment,
appuye contre le derriere du choeur de l'eglise.
Revenu un peu a moi en depit du tintamarre diabolique qui continue, je
marche, appuye d'une main contre le mur, et je me trouve a la porte
que je vois ouverte et par ou une fumee epaisse sort. J'entre et je me
trouve au milieu d'individus que je prends pour des ombres, tant il y
a de fumee. Ces individus continuent a chanter et d'autres a jouer des
orgues. Tout a coup, une grande flamme s'echappe, la fumee se dissipe;
je regarde ou je suis et avec qui; un des chanteurs s'approche de moi
et s'ecrie: "C'est mon sergent!" Il m'avait reconnu a ma peau d'ours,
et, a mon tour, je reconnais des soldats de la compagnie; que l'on
juge de ma surprise en les voyant dans cet etat de gaite! J'allais
leur faire des questions, lorsque l'un d'eux s'approche et me
presente de l'eau-de-vie, plein un vase en argent. Alors je devine
d'ou vient leur gaite: ils etaient tous en ribote!
Un qui l'etait moins que les autres me conta qu'en arrivant, ils
avaient ete a la corvee, et qu'en passant ou il y avait encore
quelques maisons, ils avaient vu sortir d'une cave deux hommes portant
une lanterne, qu'ils avaient reconnus pour des juifs; que, de suite,
ils s'etaient concertes pour y revenir faire une visite apres la
distribution des vivres, afin de voir s'ils n'y trouveraient rien a
manger, et ensuite passer la nuit dans cette eglise, qu'ils avaient
remarquee; qu'en effet ils etaient revenus et avaient trouve, dans la
cave, une barrique d'eau-de-vie, un sac de riz et un peu de biscuit,
ainsi que
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