je pris l'un des chemins pour l'autre: je me trouvai
ayant le rempart a ma droite, au-dessous duquel coulait le Boristhene;
a ma gauche etait une etendue de terrain, ou l'emplacement d'une rue
qui longeait le bas du rempart et dont toutes les maisons avaient ete
brulees et ecrasees pendant le bombardement. L'on y voyait encore, ca
et la, malgre l'obscurite, quelques pignons sortir comme des ombres du
milieu de la neige.
Le chemin que j'avais pris etait tellement mauvais, je me trouvai si
fatigue, apres un instant de marche, que je regrettai de m'etre
hasarde seul. Je me disposais a retourner sur mes pas et de remettre
au lendemain ma recherche apres Grangier, mais, au moment ou je me
retournais, j'entendis marcher derriere moi et, aussitot, j'apercus, a
quelques pas, un individu que je reconnus pour un soldat badois
portant sur son epaule une petite barrique que je supposai etre de
l'eau-de-vie. Je l'appelai, il ne me repondit pas; je voulus le
suivre, il doubla le pas: j'en fis autant. Il descendit une petite
pente un peu rapide; je voulus faire comme lui, mais mes jambes
n'etant pas aussi fermes que les siennes, je tombai et, roulant du
haut jusqu'en bas, j'arrivai aussi vite que lui contre la porte d'une
cave que le poids de mon corps fit ouvrir et ou j'entrai, l'epaule
droite meurtrie, avant l'individu.
Je n'avais pas encore eu le temps de me reconnaitre et de savoir ou
j'etais, que je fus tire de mon etourdissement par des cris confus de
differentes langues d'une douzaine d'individus couches sur de la
paille, autour d'un feu: Francais, Allemands, Italiens, que je
reconnus, de suite, pour etre des associes pillards et voleurs,
marchant ensemble pour leur compte, et toujours en avant de l'armee,
de crainte de rencontrer l'ennemi et de se battre, arrivant les
premiers dans les maisons lorsqu'il s'en trouvait, ou bivaquant dans
des lieux separes. Lorsque l'armee arrivait, la nuit, bien fatiguee,
ils sortaient de leur cachette, rodaient autour des bivacs, enlevaient
lestement les chevaux et les portemanteaux des officiers, et se
remettaient en route de grand matin, quelques heures avant la colonne,
et ainsi de meme chaque jour. Enfin c'etait une de ces bandes comme il
y en avait beaucoup, qui s'etaient formees depuis les premiers jours
ou les grands froids avaient commence, et qui avaient amene nos
desastres. Ces bandes se propagerent, par la suite.
J'etais encore etourdi de ma chute, et je n'etais pas encore rele
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