ri qu'il avait entendu. Je lui
contai ma culbute sur le dragon, et comme ma figure avait touche la
sienne: "Tu as donc eu peur, mon pauvre ami?--Non, lui repondis-je,
mais j'ai eu bien mal!--C'est tres heureux, me dit-il, que tu te sois
fait assez de mal pour te faire crier, sans cela tu aurais passe sans
que j'eusse pu te voir!"
Tout en causant, nous marchions a droite et a gauche pour nous
rechauffer, en attendant que les hommes fussent arrives pour
transporter les malades qui, couches l'un contre l'autre sur une peau
de mouton, et couverts de la capote et de l'habit de celui que l'on
avait depouille a la baraque, ne donnaient plus grand signe de vie:
"Je crains bien, me dit Beloque, que nous n'ayons pas la peine de les
faire transporter!" En effet, l'on entendait par moments qu'ils
voulaient parler ou respirer, mais il etait facile de comprendre que
leur langage etait celui des agonisants.
Tandis que le rale de la mort se faisait entendre pres de nous, la
musique aerienne, que je croyais n'exister que dans mon imagination,
recommenca de nouveau, mais beaucoup plus rapprochee. J'en fis la
remarque a Beloque, et je lui contai ce qui m'etait arrive a la
premiere et a la seconde fois que j'avais entendu ces sons harmonieux.
Alors il me conta que, depuis qu'il etait arrete, il avait entendu,
par intervalles, cette musique, et qu'il n'y pouvait rien comprendre;
qu'il y avait des moments que cela faisait un vacarme d'enfer, et que,
si c'etaient des hommes qui s'amusaient a cela, il fallait qu'ils
eussent le diable au corps. Alors, s'approchant plus pres de moi, il
me dit a demi-voix, de crainte que les deux hommes qui se mouraient a
nos pieds l'entendent: "Mon cher ami, ces sons que nous entendons
ressemblent beaucoup a la musique de la mort! Tout ce qui nous entoure
est mort, et j'ai un pressentiment que, sous peu de jours, je serai
mort!" Puis il ajouta: "Que la volonte de Dieu soit faite! Mais c'est
trop souffrir pour mourir. Regarde ces malheureux!" en montrant les
deux hommes couches dans la neige. A cela je ne repondis rien, car
dans ce moment ma pensee etait comme la sienne.
Il avait cesse de parler, et nous ecoutions toujours sans nous rien
dire, interrompus seulement par la difficulte de respirer d'un des
hommes mourants, lorsque, rompant de nouveau le silence: "Cependant,
me dit-il, les sons que nous entendons semblent arriver d'en haut".
Nous ecoutames encore avec attention; effectivement cela paraissait
v
|