ur leur donner la sepulture, mais pour avoir leurs
vetements ou quelque autre chose qu'ils auraient pu avoir sur eux. Il
en etait de meme de tous ceux qui succombaient, en marchant ou
arretes: les vivants se partageaient les depouilles des morts, et
souvent, a leur tour, succombaient quelques heures apres et
finissaient par subir le meme sort.
Une heure apres notre arrivee, l'on nous fit une petite distribution
de farine, et la valeur d'une once de biscuit: c'est plus que l'on ne
pouvait esperer. Ceux qui avaient des marmites firent de la bouillie,
les autres firent des galettes qu'ils faisaient cuire dans la cendre
et que l'on devora a moitie cuites; l'avidite avec laquelle ils
mangerent, faillit leur etre funeste, car plusieurs furent
dangereusement malades et manquerent etouffer. Tant qu'a moi, quoique
je n'avais pas mange de soupe depuis le 1er novembre et que la
bouillie de farine de seigle fut epaisse comme de la boue, je fus
assez heureux pour ne pas etre incommode; mon estomac etait encore
bon.
Depuis le moment ou nous etions arrives, plusieurs hommes du regiment,
qui etaient malades et qui avaient pu, en faisant des efforts
extraordinaires, arriver a l'endroit ou nous etions, venaient de
mourir, et, comme on leur avait donne les meilleures places dans les
mauvaises masures que l'on nous avait designees pour logements, l'on
s'empressa de les porter loin, afin de prendre leur place.
Apres que je fus repose, malgre le froid et la neige qui tombait, je
me disposai a chercher apres un de mes amis, celui avec qui j'etais le
plus intimement lie, celui avec qui je n'avais jamais compte; nos
bourses ne faisaient qu'une. Il se nommait Grangier[26]. Il y avait
sept ans que nous etions ensemble. Je ne l'avais pas vu depuis Viasma,
ou il etait parti en avant avec un detachement, escortant un caisson
appartenant au marechal Bessieres. L'on m'avait assure qu'il etait
arrive depuis deux jours et loge dans un faubourg. Le plaisir de le
revoir, l'espoir aussi d'avoir quelques vivres qu'il avait pu, sans
doute, se procurer avant notre arrivee, et aussi de partager son
logement, fit que je ne balancai pas a le chercher de suite.
[Note 26: Sergent velite dans le meme regiment que moi, aux
fusiliers-grenadiers. _(Note de l'auteur)_]
Ayant pris mes armes et mon sac, sans rien dire a personne, je rentrai
en ville par la meme route que nous etions venus, et, apres avoir
tombe plusieurs fois en descendant cette pente rapide e
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