faisait toujours marcher
autant que possible derriere la cavalerie et l'artillerie, et que, le
lendemain, l'on nous faisait arreter ou ils avaient passe la nuit,
afin que nous puissions nous nourrir avec les chevaux qu'ils
laissaient en partant.
Pendant que le regiment etait a se reposer et que chaque homme etait
occupe a se composer un mauvais repas, de mon cote, comme un egoiste,
j'etais entre, sans que l'on m'ait vu, dans le plus epais du bois,
pour devorer seul une des pommes de terre que j'avais toujours dans ma
carnassiere et que je cachais le plus soigneusement possible. Mais
quel fut mon desappointement en voulant mordre dedans! Ce n'etait plus
que de la glace! Je voulus mordre: mes dents glissaient contre, sans
pouvoir en detacher un morceau. C'est alors que je regrettai de ne les
avoir pas partagees, la veille, avec mes amis, que je vins rejoindre,
tenant encore a la main celle que j'avais voulu manger, toute rouge du
sang de mes levres.
Ils me demanderent ce que j'avais. Sans leur repondre, je leur montrai
la pomme de terre que je tenais encore a la main, ainsi que celles que
j'avais dans ma carnassiere; mais a peine les avais-je montrees
qu'elles me furent enlevees. Eux aussi furent trompes en voulant y
mordre; on les vit courir pres du feu pour les faire degeler, mais
elles fondirent comme de la glace. Pendant ce temps-la, d'autres
vinrent me demander ou je les avais eues; je leur montrai le bois, ils
y coururent, et, apres avoir cherche, ils revinrent me dire qu'ils
n'avaient rien trouve. Eux furent bons pour moi, car ils avaient fait
cuire plein une marmite de sang de cheval, et m'inviterent a y prendre
ma part. C'est ce que je fis sans me faire prier. Aussi, me suis-je
toujours reproche d'avoir agi de cette maniere. Ils ont toujours cru
que je les avais trouvees dans le bois; jamais je ne les ai desabuses.
Mais cela n'est qu'un echantillon de ce que nous verrons plus tard.
Apres une heure de repos, la colonne se remit en marche pour traverser
le bois ou, par intervalles, l'on rencontrait des espaces ou se
trouvaient quelques maisons habitees par des juifs. Quelquefois ces
habitations sont grandes comme nos granges et construites de meme,
avec cette difference qu'elles sont baties en bois et couvertes de
meme. Une grande porte se trouvait a chaque extremite; elles servaient
de poste, de maniere qu'une voiture qui entre par une, apres avoir
change de chevaux, sort par l'autre; il s'en trouve presque
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