t occupes a faire
rotir un morceau de cheval, que nous vimes paraitre un individu avec
la tete enveloppee d'un mouchoir, les mains de chiffons, et les habits
brules. En arrivant, il se mit a crier: "Ah! mon colonel! que je suis
malheureux! que je souffre!" Le colonel, se retournant, lui demanda
qui il etait, d'ou il venait, et ce qu'il avait: "Ah! mon colonel!
repondit l'autre, j'ai tout perdu et je suis brule!" Le colonel
l'ayant reconnu, lui repondit: "Tant pis pour vous, vous n'aviez qu'a
rester au regiment; depuis plusieurs jours vous n'avez pas paru:
qu'avez-vous fait, vous qui deviez montrer l'exemple et mourir, comme
nous, a votre poste? Entendez-vous, monsieur!" Mais le pauvre diable
n'entendait pas; ce n'etait pas le moment de faire de la morale; cet
individu etait l'officier que nous avions sauve du feu de la grange,
la nuit d'avant, et qui passait pour avoir beaucoup d'objets precieux
et de l'or qu'il avait pris a Moscou, par droit de conquete. Mais tout
etait perdu: son cheval et son portemanteau avaient disparu. Le
marechal et le colonel, ainsi que ceux qui etaient la, causerent du
sinistre de la grange. L'on parla de plusieurs officiers superieurs
qui s'y etaient enfermes avec leurs domestiques et qui y avaient peri,
et comme on savait que j'avais vu ce desastre, on m'en demanda des
details, car l'officier que nous avions sauve ne savait rien dire; il
etait trop affecte.
Il pouvait etre neuf heures, la nuit etait extraordinairement sombre,
et deja une partie de nous, ainsi que le reste de notre malheureuse
armee qui bivaquait autour de l'endroit ou nous etions, commencait a
se reposer d'un sommeil interrompu par le froid et les douleurs
causees par la fatigue et la faim, pres d'un feu qui, a chaque
instant, s'eteignait, comme les hommes qui l'entouraient; nous
pensions a la journee du lendemain qui devait nous conduire a
Smolensk, ou, disait-on, nos miseres devaient finir, puisque nous
devions y trouver des vivres et prendre des cantonnements.
Je venais de finir mon triste repas compose d'un morceau de foie d'un
cheval que nos sapeurs venaient de tuer, et, pour boisson, un peu de
neige. Le marechal en avait mange aussi un morceau que son domestique
venait de lui faire cuire, mais il l'avait mange avec un morceau de
biscuit et, par-dessus, il avait bu une goutte d'eau-de-vie; le repas,
comme on voit, n'etait pas tres friand, pour un marechal de France,
mais c'etait beaucoup, pour les circonstances malhe
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