ureuses ou nous
nous trouvions.
Dans ce moment, il venait de demander a un homme qui etait debout a
l'entree de la grange, et appuye sur son fusil, pourquoi il etait la.
Le soldat lui repondit qu'il etait en faction: "Pour qui, repond le
marechal, et pourquoi faire? Cela n'empechera pas le froid d'entrer et
la misere de nous accabler! Ainsi, rentrez et venez prendre place au
feu." Un instant apres, il demanda quelque chose pour reposer sa tete;
son domestique lui apporta un portemanteau et, s'enveloppant dans son
manteau, il se coucha.
Comme j'allais en faire autant en m'etendant sur ma peau d'ours, nous
fumes effrayes par un bruit extraordinaire: c'etait un vent du nord
qui arrivait brusquement au travers des forets, et qui amenait avec
lui une neige des plus epaisses et un froid de vingt-sept degres, de
maniere qu'il fut impossible aux hommes de rester en place. On les
entendait crier en courant dans la plaine, cherchant a se diriger du
cote ou ils voyaient des feux, esperant trouver mieux; mais enveloppes
dans des tourbillons de neige, ils ne bougeaient plus, ou, s'ils
voulaient continuer, ils faisaient un faux pas et tombaient pour ne
plus se relever. Plusieurs centaines perirent de cette maniere, mais
plusieurs milliers moururent a leur place, n'esperant rien de mieux.
Tant qu'a nous, nous fumes heureux qu'un cote de la grange fut a
l'abri du vent; plusieurs hommes vinrent se refugier chez nous et, par
ce moyen, eviter la mort.
Il faut que je cite un trait de devouement qui s'est passe dans cette
nuit desastreuse ou tous les elements les plus terribles de l'enfer
semblaient etre dechaines contre nous.
Le prince Emile de Hesse-Cassel faisait partie de notre armee, avec
son contingent qu'il fournissait a la France. Son petit corps d'armee
etait compose de plusieurs regiments d'infanterie et cavalerie. Il
etait, comme nous, bivaque sur la gauche de la route, avec le reste de
ses malheureux soldats, reduits a cinq ou six cents hommes, parmi
lesquels se trouvaient encore environ cent cinquante dragons, mais
presque tous a pied, leurs chevaux etant morts ou manges. Ces braves
soldats, succombant de froid, et ne pouvant rester en place par une
nuit et un temps aussi abominables, se devouerent pour sauver leur
jeune prince, age, je crois, tout au plus de vingt ans, en le mettant
au milieu d'eux pour le garantir du vent et du froid. Enveloppes de
leurs grands manteaux blancs, ils resterent debout toute la nuit,
se
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