que la precedente,
car, lorsque nous arretames, il faisait encore jour. C'etait sur
l'emplacement d'un village incendie ou il ne restait plus que quelques
pignons de maisons contre lesquels les officiers superieurs etablirent
leur bivac pour se mettre a l'abri du vent et passer la nuit.
Independamment des douleurs que nous avions, par suite des grandes
fatigues que nous eprouvions, la faim se faisait sentir d'une maniere
effroyable. Ceux a qui il restait encore un peu de vivres, comme du
riz ou du gruau, se cachaient pour le manger. Deja il n'y avait plus
d'amis, l'on se regardait d'un air de mefiance, l'on devenait meme
ingrat envers ses meilleurs camarades. Il m'est arrive, a moi, de
commettre, envers mes veritables amis, un trait d'ingratitude que je
ne veux pas passer sous silence.
J'etais, ce jour-la, comme tous mes amis, devore par la faim, mais
j'avais, plus qu'eux, le malheur de l'etre aussi par la vermine que
j'avais attrapee l'avant-veille. Nous n'avions pas un morceau de
cheval a manger, nous comptions sur l'arrivee de quelques hommes de la
compagnie, qui etaient restes en arriere, afin d'en couper aux chevaux
qui tombaient. Tourmente de n'avoir rien a manger, j'eprouvais des
sensations qu'il me serait difficile d'exprimer. J'etais pres d'un de
mes meilleurs amis, Poumo, sergent, qui etait debout pres d'un feu que
l'on venait de faire, en regardant de tous cotes s'il n'arrivait rien.
Tout a coup, je lui serre la main avec un mouvement convulsif, en lui
disant: "Mon ami, si je rencontrais, dans le bois, n'importe qui avec
un pain, il faudrait qu'il m'en donne la moitie!" Puis, me reprenant:
"Non, lui dis-je, je le tuerais pour avoir tout!"
A peine avais-je lache la parole, que je me mis a marcher a grands pas
dans la direction du bois, comme si je devais rencontrer l'homme et le
pain. Y etant arrive, je le cotoyai pendant un quart d'heure, et,
tournant brusquement a gauche dans une direction opposee a notre
bivac, j'apercus, presque a la lisiere du bois, un feu contre lequel
un homme etait assis. Je m'arretai afin de l'observer, et je
distinguai qu'il avait, devant lui et sur son feu, une marmite dans
laquelle il faisait cuire quelque chose, car, ayant pris un couteau,
il le plongea dedans, et, a ma grande surprise, je vis qu'il en
retirait une pomme de terre qu'il pressa un peu et qu'il remit
aussitot, probablement parce qu'elle n'etait pas cuite.
J'allais m'elancer et courir dessus, mais, dans la crai
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