es. Le genie de Newton est un
genie d'analyse et de penetration; celui de Descartes est un genie
d'imagination. Descartes cree _son_ monde, Newton demele _le_ monde, le
pese, le calcule et l'explique. Voltaire, qui a plus de penetration que
d'imagination, est tres attire par Newton. Il a pris a ce commerce un
gout de precision, de prudence, de sang-froid, de critique scientifique
qu'il a contribue a donner a ses contemporains et qui est precieux.
Sa sympathie pour Dalembert et son antipathie a l'egard de Buffon, sa
reserve a l'egard de Diderot viennent de la. Et s'il n'est pas inventeur
en sciences geometriques, ce qui n'est donne qu'a ceux qui y consacrent
leur vie, son influence y fut tres bonne, son exemple honorable, son
encouragement precieux. Comme Fontenelle, comme Dalembert, il maintenait
le lien utile et necessaire qui doit unir l'Academie des sciences a
l'Academie francaise.
En matiere de reformes administratives il a fait mieux. Il a montre
l'impot mal reparti, iniquement percu, le commerce gene par des douanes
interieures absurdes et oppressives, la justice trop chere, trop
ignorante, trop frivole et capable trop souvent d'epouvantables erreurs.
Je crains de me tromper en choses que je connais trop peu; mais il me
semble bien que je ne suis pas dans l'illusion en croyant voir qu'il a
deux eleves, dont l'un s'appelle Beccaria et l'autre Turgot. Cela doit
compter. J'insiste, et quelque admiration que j'aie pour un Montesquieu,
quelque cas que je fasse d'un Rousseau, et quelque estime infiniment
faible que je fasse de la politique de Voltaire, je le remercie presque
d'avoir ete un theoricien politique tres mediocre, en considerant que
negliger la haute sociologie et s'appliquer aux reformes de detail a
faire dans l'administration, la police et la justice, etait donner un
excellent exemple, presque une admirable methode dont il eut ete
a souhaiter que le XVIIIe siecle se penetrat. Ici Voltaire est
inattaquable et venerable. C'est le bon sens meme, aide d'une tres
bonne, tres etendue, tres vigilante information. Ici il n'a dit que des
choses justes, dans tous les sens du mot, et tel de ses petits
livres, prose, vers, conte ou memoire, en cet ordre d'idees, est un
chef-d'oeuvre.
Je vois une autre evolution de Voltaire, celle-la interieure (ou a peu
pres), intime, et qu'il doit a lui-meme, au developpement naturel de ses
instincts. C'est un epicurien, c'est un homme qui veut jouir de toutes
les manieres delicat
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