n la craint,
on l'admire, on la querelle, et l'on doute un peu qu'elle nous vaille!
Voila donc, a ce qu'il parait, un esprit assez etroit, disperse et
curieux, mais superficiel et contradictoire, quand on le presse et
qu'on le ramene, sans le trahir, il me semble, aux deux ou trois idees
fondamentales qui forment son centre; tres peu nouveau, assez arriere
meme, repetant en bon style de tres anciennes choses, sensiblement
inferieur aux philosophes, chretiens ou non, qui l'ont precede, et ne
depassant nullement la sphere intellectuelle de Bayle, par exemple;
surtout incapable de progres personnel, d'elargissement successif de
l'esprit, et redisant a soixante-dix ans son _credo_ philosophique,
politique et moral de la trentieme annee.
Prenons garde pourtant. Il est rare qu'on soit intelligent sans qu'il
advienne, a un moment donne, qu'on sorte un peu de soi-meme, de son
systeme, de sa conception familiere, du cercle ou notre caractere et
notre premiere education nous ont etablis et installes. Cette sorte
d'evolution que ne connaissent pas les mediocres, les habiles, meme tres
entetes, s'y laissent surprendre, et ce sont les plus clairs encore
de leurs profits. Je vois deux evolutions de ce genre dans Voltaire.
Voltaire est un epicurien brillant du temps de la Regence, et l'on peut
n'attendre de lui que de jolis vers, des improvisations soi-disant
philosophiques a la Fontenelle, et d'amusants pamphlets. C'est en effet
ce qu'il donne longtemps. Mais son siecle marche autour de lui, et d'une
part, curieux, il le suit: d'autre part, tres attentif a la popularite,
il ne demandera pas mieux que de se penetrer, autant qu'il pourra, de
son esprit, pour l'exprimer a son tour et le repandre. Et de la viendra
un premier developpement de la pensee de Voltaire. Ce siecle est
antireligieux, curieux de sciences, et curieux de reformes politiques et
administratives. De tout cela c'est l'impiete qui s'ajuste le mieux au
tour d'esprit de Voltaire, et c'est ce que, a partir de 1750 environ, il
exploitera avec le plus de complaisance, jusqu'a en devenir cruellement
monotone. Quant a la politique proprement dite, il n'y entend rien,
ne l'aime pas, en parlera peu et ne donnera rien qui vaille en cette
matiere. Restent les sciences ef les reformes administratives. Il s'y
est applique, et avec succes. Il a fait connaitre Newton, tres conteste
alors en France et que la gloire de Descartes offusquait. Il aimait
Newton, et n'aimait point Descart
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