urs eu et auront toujours le besoin d'assommer ceux qui pensent
autrement qu'eux, et que pour eux les plus grands crimes ont toujours
ete et seront toujours les crimes d'opinion. Chaque grande idee generale
qui traverse le monde donne seulement matiere a ce besoin imperieux
de l'espece. Aucune ne le cree, chacune le renouvelle. Avant le
christianisme, le polytheisme a proscrit cruellement, meurtrierement
le monotheisme sous forme philosophique d'abord, sous forme chretienne
ensuite; et le christianisme vainqueur a persecute le paganisme; et les
sectes chretiennes se sont proscrites les unes les autres; et voila que
le christianisme detruit par vous, vous croyez l'intolerance exterminee
du monde, ne sachant pas prevoir, comme vous ne savez pas voir
juste dans le passe, et ne vous doutant point qu'apres vous l'on va
s'assassiner pour des idees comme auparavant; que, seulement, les
theologiens seront remplaces par des theoriciens politiques, et le crime
d'etre heretique par celui d'etre aristocrate.
Cette etroitesse d'esprit va plus loin. Elle s'applique a l'histoire
naturelle comme a l'histoire. Comme Voltaire est incapable de sortir des
idees de son temps pour comprendre le passe historique, tout de meme il
est incapable de depasser l'horizon de son siecle pour comprendre ou
imaginer le passe prehistorique. Les theories de Buffon paraissent
extravagantes. Quoi! La mer couvrant la terre tout entiere, les Alpes
sous les eaux; il en reste des coquillages dans les montagnes! Quelle
plaisanterie!--On lui montre les fossiles. Il ne veut pas les voir.
Laissez donc: ce sont des coquilles de saint Jacques jetees la par des
pelerins revenant de Terre Sainte.--Et cet autre, avec sa generation
spontanee et ses anguilles nees sans procreateurs! Ce n'est pas meme a
examiner.--Et cet autre qui croit a la variabilite des especes, et que
les nageoires des marsouins pourraient bien etre devenues avec le
temps des mains d'hommes de lettres et des bras de marquise. Quels
fous!--Investigations curieuses pourtant, hypotheses fecondes dont un
renouvellement de la science, et un peu de l'esprit humain, pourra
sortir, et que, la-bas, un Diderot accueille avec attention, examine
avec ardeur, homme nouveau, lui, vraiment moderne, donnant le branle a
la curiosite publique, et, ce que vous n'etes en rien, precurseur.
C'est encore a ce penchant anthropomorphiste, infirmite essentielle de
tout homme, je l'ai accorde, mais chez Voltaire plus grave qu
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