ace d'honneur.
--Il n'y a point de place d'honneur au cafe.
--Et votre chambre? chacun sait qu'on vous a hisse au galetas.
--Chacun sait que j'aime la montagne.
Tout cela se debitait en badinant. Ils s'amusaient a se lancer les
questions et les reponses comme nous jouions au college avec des
balles. En les ecoutant, je fus un instant distrait du sentiment qui
m'occupait, et tout bas je me reprochai cette distraction comme une
faute.
Ce fut bientot un theme de plaisanteries faciles. On parlait
couramment, au cafe, du bout de table du pere Rambert, du galetas du
pere Rambert. Lui-meme en haussait les epaules et prenait joyeusement
les choses.
--Enfin, tout cela n'est-il pas vrai, pere Rambert? insista un jour
Martinod.
--Oh! sans doute, cela est vrai dans un sens. C'est vrai si vous y
tenez. Mais qu'est-ce qui est vrai?
Comme si l'on ne savait pas ce qui est vrai et ce qui ne l'est point?
Grand-pere aimait assez a tenir des propos obscurs. Cette meme apres-
midi, nous rentrions ensemble, lui vif et guilleret, moi la mine basse
pour n'avoir pas apercu, fut-ce de loin (ce que je preferais),
Nazzarena. Au sommet de l'escalier, nous trouvames mon pere qui nous
attendait et paraissait fort en colere. Sa main froissait un journal
et il le tendit sans preambule a grand-pere qui ne se souciait point
de le prendre.
--Savez-vous, demanda-t-il, qui a ecrit ca?
Avec quel mepris il prononcait le mot: ca? Je sentais qu'il se
contenait, mais que des evenements graves se passaient a la maison.
--Comment le saurais-je? objecta grand-pere. Je ne lis jamais les
journaux du pays.
--Eh bien! lisez celui-ci.
--Oh! non, merci, je ne m'en soucie pas.
--Alors, c'est moi qui vous le lirai.
--Si tu le veux absolument.
Je le vis entrer tous les deux dans le cabinet de consultation dont la
porte demeura ouverte, et je n'eus garde de m'en aller. Grand-pere
s'assit docilement dans un fauteuil, et mon pere commenca de suite sa
lecture. Je me crus mal recompense de la curiosite qui me maintenait
en place, car je ne compris goutte sur le moment a cet article pateux,
grisatre et filandreux, pareil a ce fromage rape qui se detrempe dans
la bouillon d'oignon et devient une glu collante dont on ne peut
debarrasser ses gencives. Il etait question des elections prochaines
et d'un personnage omnipotent et despotique, avide de conduire le
peuple a la baguette comme il avait conduit sa maison. Apres quoi, on
parlait d'un gren
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