n tour; la lettre arrive a Paris le 2
juin. Il n'en faut retenir que ce qui precise respectivement leur etat
d'ame. Elle revient sur les merites de Pagello et les enumere avec
complaisance: "J'ai la, pres de moi, mon ami, mon soutien; il ne souffre
pas, lui; il n'est pas faible, il n'est pas soupconneux; il n'a pas connu
les amertumes qui t'ont ronge le coeur; il n'a pas besoin de ma force, il
a son calme et sa vertu; il m'aime en paix, il est heureux sans que je
souffre, sans que je travaille a son bonheur. Eh bien, moi, j'ai besoin de
souffrir pour quelqu'un, j'ai besoin d'employer ce trop d'energie et de
sensibilite qui _sont_ en moi. J'ai besoin de nourrir cette maternelle
sollicitude qui s'est habituee a veiller sur un etre souffrant et fatigue.
_Oh.'pourquoi ne pouvais-je vivre entre vous deux et vous rendre heureux
sans appartenir ni a l'un ni a l'autre?_ J'aurais bien vecu dix ans
ainsi."
Cette idee lui agree; elle y insiste, et elle croit ouir la voix de Dieu,
tandis que les hommes, deconcertes par la singularite de ses paroles, de
ses actes, et par l'audace de ses professions de foi, lui crient: horreur,
folie, scandale, mensonge, la couvrent d'anathemes et de maledictions.
Elle ne veut ni s'en emouvoir ni s'en indigner. Les clabauderies d'en bas
ne sauraient l'atteindre, et elle a recours, pour s'en expliquer, a une
reminiscence de sa prime jeunesse: "Je me souviens du temps ou j'etais au
couvent. La rue Saint-Marceau passait derriere notre chapelle. Quand les
forts de la Halle et les maraicheres elevaient la voix, on entendait leurs
blasphemes jusqu'au pied du sanctuaire. Mais ce n'etait pour moi qu'un son
qui frappait les murs. Il me tirait quelquefois de ma priere dans le
silence du soir; j'entendais le bruit, je ne comprenais pas le sens des
jurements grossiers. Je reprenais ma priere sans que mon oreille ni mon
coeur se fussent souilles a les entendre. Depuis, j'ai vecu retiree dans
l'amour comme dans un sanctuaire, et quelquefois les sales injures du
dehors m'ont fait lever la tete, mais elles n'ont pas interrompu l'hymne
que j'adressais au ciel, et je me suis dit comme au couvent: "Ce sont des
charretiers qui passent." Cependant elle annonce son retour pour le mois
d'aout. Sans doute, quand ils se reverront, il sera engage dans un nouvel
amour. Elle le desire et le craint tout ensemble. C'est une lutte entre sa
tendresse de mere et ses instincts d'amante. "Je ne sais, ecrit-elle, ce
qui se passe en moi
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