route, mes soldats eurent une attention
delicate.--"Faut lui faire lire la proclamation du ministre," dit un
grenadier qui aimait a plaisanter. Et l'on m'arreta devant une affiche
qui disait que les individus pris sur les barricades seraient fusilles.
A la Bastille, mon escorte croisa une forte patrouille, et, apres
quelques mots que je n'entendis pas, on me remit a cette patrouille qui
m'amena a la caserne ou tu m'as trouve.--"Qu'est-ce qu'il a fait
ce vieux-la? demanda l'officier qui me recut.--Pris sur la
barricade.--C'est bon.--Au mur? demanda le sergent.--Sans doute." Et
l'officier me tourna le dos; mais ces mots laconiques n'etaient que trop
clairs. Je protestai, j'appelai l'officier, et celui-ci voulut bien
m'ecouter. Le resultat de cet entretien fut de me faire envoyer dans la
salle d'ou tu viens de me tirer.
Nous arrivames enfin rue de Reuilly, et j'entrai seul pour eviter a
madame de Planfoy et aux enfants le coup foudroyant de la joie.
Mais deja la famille etait avertie de son bonheur: un petit chien
s'etait jete sur la porte et poussait des aboiements percants.
--C'est pere, c'est pere, criaient les enfants, Jap l'a senti.
J'eus ma part des embrassements.
XXXII
Il etait trop tard pour partir le soir meme. Je couchai rue de Reuilly.
Et le lendemain matin je pris le train de Chalon. M. de Planfoy voulut
me conduire au chemin de fer, mais au grand contentement de madame de
Planfoy, je le fis renoncer a cette idee. Notre premiere promenade
n'avait pas ete assez heureuse pour en risquer une seconde. Dans le
lointain, on entendait encore quelques coups de fusil du cote de la rive
gauche et vers le faubourg Saint-Martin. Cela ne paraissait pas bien
serieux, mais c'en etait assez cependant pour un homme qui avait ete si
pres "du mur," le mur contre lequel on fusille, ne se risquat point dans
les rues.
J'avais attendu l'heure de ce depart avec impatience, et autant qu'il
avait dependu de moi, je l'avais avancee. A chaque minute, pendant mes
recherches et mes voyages a travers Paris, je m'etais exaspere contre
leur lenteur, je voulais partir, et si la vie de M. de Planfoy n'avait
point ete en jeu, je me serais echappe de Paris quand meme.
Je ne fus pas plutot installe dans mon wagon, que cette grande
impatience d'etre a Marseille fit place a une inquietude non moins
grande et non moins irritante.
Ces sentiments divers qui se succedaient en moi etaient cependant
facilement explicables, malgre le
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