ent ou de les absoudre,
ou de les excuser, ou de les reduire a des inexactitudes de langage. Les
modernes censeurs d'Abelard ne nient meme pas qu'elles puissent etre
ramenees a un sens catholique; et aucun n'affirme qu'il ait voulu
innover an fond ni sciemment sortir de l'unite[288]. Cela suffit pour
que le jugement qui le frappa soit condamne. Vainement le concile
pretend-il avoir epargne la personne, pour ne juger que les doctrines;
c'est la personne, bien plus que les doctrines, qu'il a poursuivie. Dans
un autre temps, chez un autre homme, il les aurait tolerees. Ce n'est
pas la pensee abstraite d'Abelard, c'est sa pensee vivante et remuante;
ce n'est pas son systeme, c'est son influence que ses juges ont voulu
aneantir[289]. Ce n'est pas la verite eternelle, mais la situation
accidentelle de l'Eglise qu'ils ont defendue. La puissance d'un genie
inquietant et refractaire, dans le passe d'humiliantes victoires, dans
l'avenir une tendance dangereuse, dans le present une emotion generale
des esprits impatients du joug, tels sont les graves motifs qui
s'unirent aux inevitables passions humaines, pour determiner la
politique religieuse de saint Bernard et du concile qui lui servit
d'instrument.
[Note 287: Voyez la troisieme partie de cet ouvrage.]
[Note 288: Voyez Martene et Durand. (_Thes. nov. anecd._, t. V,
praefat.) Les propositions d'Abelard, disent-ils, ne peuvent qu'a
grand'peine etre ramenees a un sens catholique, et devaient etre
condamnees du moment qu'il refusait de les expliquer. Mabillon,
l'editeur et l'apologiste de saint Bernard, ne veut pas qu'on classe
Abelard parmi les heretiques, mais seulement parmi les errants, "inter
errantes" et plus loin: "Nolumus Abaelardum haereticum; sufficit pro
Bernardi causa cum fuisse in quibusdam errantem; quod Abaelardus non
diffitetur." (S. Bern. _Op._, praefat. Sec. 5, 51, 55, et vol. I, t. II,
Admon. in opusc. XI.) Mais ce que Mabillon accorde suffit aussi pour
que l'on condamne la violence de saint Bernard. Tout ces benedictins
paraissent au fond reduire les torts d'Abelard a de mauvaises
expressions. L'auteur de son article dans l'_Histoire litteraire_, si
malveillant pour lui, ne lui impute pas comme heresies intentionnelles
les erreurs qu'on peut tirer de ses expressions (t. XII, p. 139); et
M. l'abbe Ratisbonne, plus equitable encore, lui reconnait "un respect
sincere pour l'Eglise et une foi vive et docile." (_Hist. de saint
Bern,_, t. II, c. XXVIII, p. 24.) L
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