fin le comte
debarqua heureusement a Damiette, sur la fin d'octobre.
Il apportait au roi une somme d'argent considerable. Le pape lui avait
accorde un bref apostolique, par lequel tout ce qu'on pourrait recevoir
des croises qui voudraient racheter leur voeu, et toutes les sommes
donnees par testament, dont l'objet ne serait pas determine, serait
remis au roi. L'empereur lui-meme lui envoya des vivres d'Italie, et lui
fit present de cinquante beaux chevaux: "Charme, disait-il, de trouver
l'occasion de s'acquitter d'une partie des obligations qu'il avait a ce
prince pour les bons services qu'il en avait recus dans ses malheurs."
L'arrivee du comte de Poitiers repandit une grande joie dans toute
l'armee. On delibera sans tarder de quel cote on porterait la guerre.
Il y eut sur cela deux sentimens. Les uns proposerent d'aller assieger
Alexandrie, appelee Babylone dans les histoires de ce temps-la, quoique
bien differente de l'ancienne Babylone qui etait batie sur l'Euphrate,
et de Bagdad, aussi appelee Babylone, qui est sur le Tigre, au lieu
qu'Alexandrie est sur le Nil. Les autres proposerent d'aller attaquer le
Grand-Caire. C'etait le sentiment du comte Pierre de Bretagne, fonde sur
ce que cette ville avait un bon port ou l'on pourrait mettre la flotte
en surete, et tirer aisement des vivres par mer, soit de la Palestine,
soit des autres endroits de la Mediterranee. Cet avis, qui etait aussi
celui du comte d'Artois, prevalut, parce que le Caire etant la ville
capitale de l'Egypte, sa prise devait entrainer infailliblement celle de
toutes les autres villes. Il y eut ordre de se tenir pret a marcher au
Caire. On laissa la reine et les autres princesses et dames a Damiette
avec une forte garnison, et l'armee se mit ensuite en marche. L'armee du
roi, augmentee des troupes que le comte de Poitiers avait amenees, et
des autres renforts qu'il avait recus de la Palestine, etait de soixante
mille hommes, parmi lesquels etaient vingt mille cavaliers.
De si nombreuses troupes, si la discipline et l'obeissance y avaient
egale la bravoure, etaient plus que suffisantes pour la conquete entiere
de l'Egypte. On fit remonter le Nil a la flotte que cotoyaient les
troupes de terre, jusqu'a l'endroit ou le bras le plus oriental du Nil
se separe de celui sur lequel etait situee Damiette.
Pendant qu'on etait en marche, cinq cents cavaliers sarrasins des mieux
montes, faisant semblant de deserter de l'armee du soudan, vinrent se
rendre a
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