pendant que la neige tombait, et par un
froid de vingt degres, elle accoucha d'un gros garcon: position
malheureuse pour une femme. Je dirai que, dans cette circonstance, le
colonel Bodel, qui commandait notre regiment, fit tout ce qu'il etait
possible de faire pour le soulagement de cette femme, pretant son
manteau pour couvrir l'abri sous lequel etait la mere Dubois, qui
supporta son mal avec courage. Le chirurgien du regiment n'epargna
rien, de son cote; enfin le tout finit heureusement. La meme nuit, nos
soldats tuerent un ours blanc qui fut a l'instant mange.
Apres avoir passe la nuit la plus penible, a cause du grand froid,
nous nous mimes en route. Le colonel preta son cheval a la mere
Dubois, qui tenait son nouveau-ne dans les bras, enveloppe dans une
peau de mouton; tant qu'a elle, on la couvrit avec les capotes de deux
hommes de la compagnie, morts dans la nuit.
Ce jour-la, qui etait le 6 novembre, il faisait un brouillard a ne pas
y voir, et un froid de plus de vingt-deux degres; nos levres se
collaient, l'interieur du nez, ou plutot le cerveau se glacait; il
semblait que l'on marchait au milieu d'une atmosphere de glace. La
neige, pendant tout le jour, et par un vent extraordinaire, tomba par
flocons, gros comme personne ne les avait jamais vus; non seulement
l'on ne voyait plus le ciel, mais ceux qui marchaient devant nous.
Lorsque nous fumes pres d'un mauvais village[25], nous vimes une
estafette arriver a franc etrier, demandant apres l'Empereur. Nous
sumes, un instant apres, que c'etait un general apportant la nouvelle
de la conspiration de Malet, qui venait d'avoir lieu a Paris.
[Note 25: Ce village se nomme Mickalowka. (_Note de l'auteur_.)]
Comme l'endroit ou nous etions arretes etait pres d'un bois, et que,
pour se remettre en route, il fallait beaucoup attendre a cause que le
chemin etait etroit, l'on se trouvait beaucoup de monde en masse, et
comme nous etions plusieurs amis reunis sur le bord de la route,
frappant des pieds pour ne pas etre saisis du froid, causant de nos
malheurs et de la faim qui nous devorait, je sentis, tout a coup,
l'odeur du pain chaud. Aussitot je me retourne, et derriere et pres de
moi, je vois un individu enveloppe d'une grande pelisse garnie de
fourrures, sous laquelle sortait l'odeur du pain qui m'avait monte au
nez. Aussitot je lui adresse brusquement la parole, en lui disant:
"Monsieur, vous avez du pain; vous allez m'en vendre!" Comme il allait
se retirer,
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