t de souper, mais vrai historiquement et dans
le reel, que les hommes, les hommes en chair, les hommes qui vivent et
souffrent, ont recu un accroissement de souffrance du christianisme
et des notions trop subtiles et dangereuses pour eux a manier qu'il
apportait--ce que j'admets qu'on peut pretendre--si cela est vrai, ou si
l'on en est convaincu, il ne s'agit pas de reserver cette verite a une
aristocratie de beaux esprits, et d'en ecrire des _Ingenus_; il faut
sauver ces hommes qui patissent et les arracher a leur torture.--Dire:
il faut un Dieu... pour le peuple, ce n'est pas trop loyal; mais
j'admets cela. Dieu consolateur vague, Dieu remunerateur et punisseur
lointain, que vous n'y croyiez guere et que vous vouliez que les simples
y croient, c'est un dedain, peut-etre une pitie: ce n'est pas une
cruaute.--Mais dire: l'histoire, la realite terrestre, est atroce a
partir du Christ; il convient qu'elle cesse pour nous; et il nous est
utile que pour les humbles elle continue; c'est cela qui est monstrueux.
Et ce n'est pas monstrueux, parce que c'est de Voltaire. Il est trop
leger pour etre cruel. Il dit des choses enormes en pirouettant sur son
talon. Mais il est admirable pour se contredire; pour aller d'un bond
jusqu'au bout d'une idee et d'un autre elan jusqu'au bout de l'idee
contraire; pour etre inconsequent avec une souveraine intrepidite de
certitude; pour etre athee, deiste, optimiste, pessimiste, audacieux
novateur, reactionnaire enrage, toujours avec la meme nettete de pensee
et de decision d'argument, toujours comme s'il ne pensait jamais
autre chose, ce qui fait que chaque livre de lui est une merveille de
limpidite, et son oeuvre un prodige d'incertitude. Ce grand esprit,
c'est un chaos d'idees claires.
III
SES IDEES GENERALES
Ce qu'il y a au fond de tout cela, c'est l'egoisme, comme je l'ai dit,
l'egoisme vigoureux, et exigeant, devenant toute une philosophie. A se
placer a ce point de vue les contradictions disparaissent. Les besoins
ou les gouts de M. de Voltaire sont la mesure de toutes ses idees, les
creent, les determinent, et font qu'elles concordent. C'est un grand
bourgeois; il est riche, il aime le monde, le luxe, les arts, les
conversations libres entre "honnetes gens", le theatre, et la paix sous
ses fenetres. Tout ce qui contribuera a ces gouts ou concordera avec
eux sera vrai, tout ce qui les contrariera sera faux.--Comme il n'a pas
d'imagination, il n'a pas beson de merveilleux, e
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